Ecrire les émotions et en donner à son lecteur

by Marièke

Si vous me suivez sur les réseaux sociaux, vous avez dû voir que je partageais cette semaine des ressources et des articles sur l’écriture des émotions et la façons de les faire ressentir aux lecteurs. Écrire et donner des émotions est certainement la mission la plus compliquée de l’auteur car elle dépend de l’ensemble de son travail : de son intrigue, de ses personnages, de son style… Je vais essayer de vous apporter quelques solutions dans cet article mais n’hésitez pas à partager les vôtres !

La description des émotions

Désolée par avance pour tous les clichés et pontifs (ie. les images utilisées des millions de fois qui n’ont pas une originalité folle : genre « les yeux qui lancent des éclairs ») qui ont été insérés dans cette partie. C’était pour mieux illustrer mes propos. A vous de trouver les images qui vous bien et les sensations qui vous parlent le plus !

La joie

Manifestations physiques : La joie rayonne dans le corps entier, la tête qui tourne, le sourire irrépressible…

Dans la tête du personnage : La joie peut se manifester par une impossibilité de se concentrer sur quelque chose. On ne cesse de penser à ce qui nous fait plaisir. Les pensées peuvent s’enchaîner à toute vitesse.

Dans le style de l’auteur : La joie peut être matérialisée avec la ponctuation (les points d’exclamation, de suspension…), avec des envolées lyriques, l’amplification, l’hyperbole… (On exagère quand on est heureux !)

L’amour

Manifestations physiques : Le cœur qui s’arrête et repart de plus belle, le ventre qui papillonne, les joues qui rosissent ou au contraire semblent se vider de leur sang, la gorge sèche, l’électricité, le bien-être…

Dans la tête : Tout le monde ne réagit pas de la même façon face à l’amour. Il y a le coup de foudre : on a l’impression de connaître l’autre par cœur, on l’aime directement. Il y a l’amoureux de l’amour. Il y a celui qui anticipe, celui qui freine, celui qui ne veut pas s’engager, celui qui ne veut pas souffrir…

Dans le style de l’auteur : L’auteur peut utiliser le flashback car l’amoureux ressasse encore et encore les moments passés avec l’élu de son cœur. Il peut utiliser l’accumulation, l’amplification, l’hyperbole, l’exagération ou encore la ponctuation pour marquer l’enthousiasme (les réactions de l’amour sont semblables à celles de la joie).

La tristesse

Manifestations physiques : Si la joie emplit le corps de bonheur, la tristesse vide celui qui la ressent. Les jambes sont lourdes, la tête tourne au ralenti, le corps est faible. Les larmes, la gorge nouée par les sanglots peuvent aussi être une manifestation physique de la tristesse.

Dans la tête du personnage : Le personnage réfléchit au ralenti. Il peut être amené à repenser à ses actions, à se focaliser sur un point précis qui l’a marqué.

Dans le style de l’auteur : L’auteur peut faire usage du flashback, de la répétition, des points de suspension pour marquer l’hésitation et le vide.

La surprise

Manifestations physiques : Le cri, le cœur qui bat très fort, l’excitation, la paralysie / l’immobilisme sont des manifestations de la surprise.

Dans la tête du personnage : Très supris, un personnage peut être incapable de penser, de comprendre ce qui se passe. Selon la capacité du personnage a être surpris, cela peut durer plus ou moins longtemps. Certains personnages (les policiers, les espions, les médecins urgentistes…) sont formés à garder leur sang froid et à gérer leurs émotions.

Dans le style de l’auteur : Les points de suspension, ou l’arrêt sur image peuvent être utilisés : parfois, on est tellement surpris que l’on voit ce qui se passe mais on ne sait pas quelle réponse y apporter.

La colère

Manifestations physiques : Les jours deviennent rouges (vous connaissez l’expression « être rouge colère »), les sourcils se froncent, les traits se tirent, les yeux lancent des éclairs, les mouvements deviennent irraisonnés, secs, violents.

Dans la tête du personnage : La colère peut monter petit à petit ou être déclenchée par un événement. Elle peut être explosive ou au contraire progressive. Le personnage tourne en boucle.

Dans le style de l’auteur : La répétition, les points d’exclamation, les points de suspension, l’accumulation, l’argumentation, l’antiphrase (dire « Bravo ! Magnifique ! Toi, tu es un champion » en réponse à la grosse bévue de quelqu’un par exemple), l’amplification…

La peur

Manifestations physiques : Les cris, le cœur qui bat très vite ou de façon désordonnée, la paralysie, l’incapacité de dire quoi que ce soit, la sensation de froid… Il y a aussi les tremblements et la chaire de poule qui sont des manifestations très souvent utilisées dans les livres mais je n’ai jamais eu ce type de réaction dans une situation de peur.

Dans la tête du personnage : La peur peut figer ou au contraire faire réagir. Là encore, certaines personnes peuvent être formés à mieux réagir que d’autres face à une situation dangereuse ou suspecte (je pense encore aux policiers, soldats, espions, pompiers…).

Dans le style de l’auteur : Les points d’exclamation, les points de suspension, l’arrêt sur image, la répétition, le bégaiement…

Je réalise au moment de parler des outils de l’auteur pour dévoiler que la ponctuation revient à chaque fois… Ce n’est pas étonnant vu qu’elle permet de rendre vivant le récit.

>> Intéressé(e) par les différentes figures de style ? Cet article les décrit avec des exemples. J’essayerai de faire quelque chose à ce sujet aussi.

Écrire les émotions

Ce qui est difficile lorsque l’on travaille avec les émotions en tant qu’auteur, c’est qu’il n’y a pas de solution qui s’applique à chaque fois, de recette inratable. Les émotions et leur description ne sont jamais fixes. Elles changent en fonction du personnage, du point de vue, de la situation… Un exercice d’écriture concret est proposé à la fin de cet article.

Gérer le point de vue

La façon d’écrire les émotions va dépendre du point de vue que vous utilisez. Si vous êtes en point de vue interne (utilisation du pronom sujet « Je »), votre personnage n’aura aucun recul. Le lecteur verra les émotions telles quelles sont vécues de l’intérieur. Si vous êtes en point de vue externe, il s’agira plutôt de décrire ses réactions telles quelles sont visibles pour les autres — les larmes aux yeux, le visage rougi par la honte ou la colère… Et si vous avez optez pour le point de vue omniscient, vous pourrez jongler entre les pensées du personnage et ses réactions physiques.

Connaître ses personnages

L’écriture des émotions va aussi dépendre du caractère de votre personnage. Si certains personnages sont très expansifs et très démonstrateurs de leurs émotions, d’autres ne ressentent que très peu d’émotions et/ou ne les montrent pas beaucoup. Le challenge est de réussir à montrer leurs émotions aux lecteurs sans trahir vos personnages.

L’évolution des émotions

Les émotions ne sont pas uniformes. Elles évoluent. Elles peuvent être très fortes et s’atténuer dans le temps : c’est souvent le cas de la colère, de la surprise… La tristesse et l’amour sont différents, il me semble. Ces émotions naissent plutôt lors d’événements qui trouvent une résonance chez le personnage. Une fleur offerte, une parole ou un geste peuvent déclencher (ou raviver) le sentiment d’amour. Un souvenir, une discussion ou une situation peuvent raviver la tristesse.

Le choc des émotions

Il ne faut pas oublier que selon les cas et les personnages, deux ou trois émotions peuvent être ressenties en même temps. Lors d’un chagrin d’amour, il peut y avoir tout à la fois la tristesse, l’amour et la colère. Les émotions s’entrechoquent alors — ce qui les renforcent, les exacerbent, les atténuent… (là encore, cela dépend du caractère et du passé de votre personnage)

Donner des émotions

Plus que de donner des émotions à ses personnages, l’auteur doit les transmettre à son lecteur. C’est un gros défi mais c’est ce qui fera que le livre fonctionnera et marquera le lecteur. Si le lecteur a peur et est triste avec votre personnage, vous avez gagné.

Le style de l’auteur

Écrire « il était triste » ne suffira pas à faire ressentir la tristesse de son personnage. Montrer comment ses pensées se perdent, comment ses larmes ne peuvent s’arrêter de couler, par contre, aura plus d’effet. À vous de jouer avec les mots, les figures de style, les descriptions pour parvenir à toucher le lecteur.

L’identification aux personnages

Il y a fort à parier que si lecteur se fiche de votre personnage, il se fichera de ses émotions. Votre rôle va être de faire ressentir des émotions à propos de votre personnage pour que le lecteur puisse ensuite ressentir des émotions avec votre personnage. Si le lecteur apprécie votre personnage, il aura peur pour lui. Au contraire, s’il le déteste, il souhaitera sa fin. Mieux vaut que le lecteur ressente de la haine envers l’un de vos personnages que rien du tout : il aura envie de voir ce qu’il advient de lui (s’il est puni, s’il s’est sort, s’il meure…).

L’ascenseur émotionnel

Un événement seul et isolé ne suffira pas à faire ressentir des émotions à votre lecteur. L’intrigue est un moteur d’émotion. Dans Nos étoiles contraires, dont je vous parlais mardi dernier, c’est le fait qu’on croit que Augustus est soigné qui nous rend triste quand on découvre qu’il ne l’est pas.

Le genre littéraire et les émotions

Les émotions dépendent aussi du public pour lequel vous écrivez. Des enfants seront sensibles à des situations différentes que des personnes de 40 ans. Des gens lisant de la romance attendent qu’on leur parle d’amour — ils acceptent qu’on aborde d’autres sujets mais il leur faut une histoire d’amour à un certain point. Ceux qui optent pour un thriller souhaiteront être surpris et ressentir de la peur, du suspens… Et ainsi de suite. Il faut être original c’est évident, mais pour contenter le lecteur et lui transmettre des émotions, il faut lui donner ce qu’il attend.

!! Le risque de l’overdose

Le risque, avec les émotions, c’est de ne pas parvenir à trouver le bon équilibre. Le but n’est pas de faire de l’émotion pour faire de l’émotion. L’émotion sert à passer votre message et le rendre plus fort. Attention à ne pas surcharger vos histoires en émotions. Il faut aussi laisser le lecteur souffler et lui laisser le temps d’absorber les émotions avant de lui en donner de nouvelles. Tout est une question de dosage et de timing.

*****

J’espère que cet article vous a plu. J’ai beaucoup aimé travailler dessus et m’interroger sur tout ce qui fait que je ressens de l’émotion quand je lis et j’écris.

Très bon weekend et à mardi,

Marièke

Des exercices pratiques pour conclure

Exercice 1

Si vous galérez à écrire les émotions de vos personnages, je vous conseille de commencer par travailler avec des personnages adolescents.

L’adolescence est un âge où on commence à être confronté aux difficultés de l’âge adulte — les enfants plus jeunes sont souvent protégés –, où on arrête d’être protégé et où on apprend à ressentir les émotions. On les vit entièrement, sans retenue. Ecrire un personnage adolescent peut être un très bon défouloir pour l’écrivain car il laisse plus facilement exploser ses émotions.  C’est beaucoup plus facile d’écrire un personnage transparent qui reflète à l’extérieur ce qu’il est à l’intérieur. Il vous suffit de vous interroger sur ce qu’il ressent pour le transmettre.

Exercice 2

Une fois que vous aurez maîtrisé l’écriture des émotions de l’ado entier qui vit ses émotions à fond et ne cache rien, vous pourrez complexifier ce personnage en lui apportant des nuances. Imaginez maintenant que votre adolescent terrible a vécu un décès durant son enfance : comment réagit-il face à la tristesse ? Ressent-il la joie de la même façon ? L’histoire de vos personnages et leur caractère influe forcément sur leur façon de vivre les émotions.

Crédit image : Capture d’écran du film Vice Versa de Dsiqui aborde le thème des émotions. (Il faut que je le vois !)

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10 comments

C.ARM 17 janvier 2017 - 9 h 13 min

Bonjour,
Je souhaiterai vous remercier pour votre article sur les émotions. Il est super !

Reply
Marièke 19 janvier 2017 - 12 h 38 min

Contente qu’il ait pu vous servir ! 🙂

Reply
Eugene Lagorio 6 novembre 2017 - 23 h 26 min

Moi aussi, j’ai bien apprécié! merci

Reply
Amel 10 avril 2018 - 19 h 49 min

Un grand merci pour cet artile sur les émotion ! Je suis en train d’écrire un livre et je ne savais comment exprimer les émotions et sentiments de mes personnages… Alors un grand merci et bravo ! N’être qu’en 4ème et écrire un livre, est est assez complexe, avec votre aide j’ai beaucoup avancé.

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Marièke 9 juin 2018 - 16 h 39 min

Bon courage dans ton projet de roman ! C’est compliqué à n’importe quel âge 😉

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Eleis 30 novembre 2018 - 12 h 39 min

Bonjour,
Je n’ai pas réussi à tout lire. La flemme. Mais ce que j’ai lu semble vraiment aider. En lisant je me disais que c’est exactement que les auteurs font et idem dans la réalité !
Quand j’écris, vu que je n’arrive pas à ralentir, je saute beaucoup ces détails. C’est dommage.
Merci en tout cas.

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khloe 21 décembre 2018 - 17 h 20 min

Merci,
Vous m’avez beaucoup aidé

Reply
Marièke 2 janvier 2019 - 11 h 15 min

Contente d’avoir pu vous aider ! 🙂

Reply
Hhjaismy 3 septembre 2020 - 13 h 08 min

Très intéressant! Merci beaucoup

Reply
Marièke 3 janvier 2021 - 17 h 03 min

Merci 🙂

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