Point de vue, narrateur, voix : les choix narratifs · Au moment d’écrire un roman (de le débuter ou de le réécrire), l’auteur·trice doit prendre plusieurs choix narratifs. Réflexions.
Bonjour à toutes et à tous,
Le choix du point de vue pour son roman fait partie des inquiétudes phares des néo-romanciers et romancières. S’il est essentiel (je ne vous dirai pas le contraire aujourd’hui), il n’est pas le seul choix cornélien que doit prendre un·e auteur·trice au moment d’écrire un roman.
En effet, j’ai envie de vous parler aujourd’hui des différents choix de narration que doit prendre l’auteur et des outils / astuces qui existent pour faire ces choix !
✨✨✨
Les différents choix narratifs à prendre
Quand on écrit un roman, il y a plusieurs choix narratifs à prendre pour le raconter. Au-delà de l’histoire à raconter, il y a tous ces parti-pris que prend l’auteur et qui rend son histoire unique.
#1 Le point de vue
On en a rapidement parlé en intro de cet article. Le choix du point de vue est essentiel. J’y ai déjà consacré plusieurs articles que je vous invite à aller lire mais ce que vous devez globalement retenir c’est que le point de vue est la façon dont est observée et relayée l’histoire.
Les 3 points de vue différents
- Le point de vue omniscient : le narrateur sait tout (le passé, le présent, le futur) et raconte en s’immisçant dans la tête de l’ensemble de ses personnages. C’est le type de narration le plus utilisé !
- Le point de vue interne : le narrateur ne sait que ce que sait le personnage ;
- Le point de vue externe : le narrateur est un observateur qui ne sait rien.
Une majorité de romans n’ont qu’un point de vue mais certains peuvent en avoir plusieurs, qui varient d’un chapitre à l’autre : c’est le roman chorale. Chaque personnage est personnage point de vue a un moment de l’histoire.
? Aussi sur le blog
- Les différents points de vue narratifs
- Bien choisir son point de vue
- L’influence du point de vue sur la narration de votre roman
#2 Le narrateur
On oublie souvent cette strate de la narration et pourtant. Pour moi, elle est aussi importante que le choix du point de vue. De plus, elle est complètement liée au point de vue.
Ainsi, le narrateur peut-être :
Un personnage participant pleinement à l’histoire
i Hunger Games propose une narration exclusivement à travers les yeux de Katniss Everdeen, JRR Martin, dans Game of Thrones, préfère switcher de personnage point de vue : Tyrion Lannister, Sansa Stark, John Snow… (un chapitre = un personnage point de vue).
Un personnage racontant l’histoire mais n’y participant pas pleinement
Je pense ici, par exemple, au roman Un long voyage de Claire Duvivier. Le personnage qui raconte n’est pas le personnage principal de l’histoire. Les romans de Sherlock Holmes, raconté par son acolyte le Docteur Watson, sont un deuxième exemple de ce type de narration ;
Un narrateur transparent
De nombreux romans sont écrits au point de vue omniscient avec un narrateur complètement transparent. Il n’y a alors aucun filtre entre les faits et les pensées des personnages et ce que raconte le narrateur. Par exemple Ensemble c’est tout, de Anna Gavalda ;
Un narrateur qui participe à la construction du récit
Récemment, j’ai lu Badroulbouldour et je vous en ai proposé une chronique. Si le narrateur n’est pas un personnage du roman, il prend partie dans la narration. C’est lui qui choisit de parler de certaines choses ou pas, ou de changer l’ordre chronologique de la narration. Et il fait ces choix de façon intelligible : il exprime à son lectorat qu’il décide de lui présenter certains éléments par des incises et des interjections. Jane Austen a un style que je place aussi dans cette catégorie : si elle est plus discrète et raconte de façon chronologique, elle ne s’empêche jamais de lancer une petite pique envers ses contemporains ;
Le personnage-narrateur-auteur
Ce genre de narration est utilisé dans les autobiographies et les autofictions. Amélie Nothomb est très douée pour créer cet équilibre au point où l’on ne sait plus exactement qui parle : est-ce le personnage qui pense, est-ce l’auteur-narrateur qui intervient ?
? Aussi sur le blog
#3 Il ou Je : choisir la personne
Les deux choix précédents en créent un nouveau : le choix de la personne de narration. Allez-vous écrire au JE, au TU ou au IL ? Le IL est la narration la personne de narration la plus répandue, mais on trouve énormément de romans au JE, notamment en Young adult.
Le IL a l’avantage d’être plus facile à maitriser, tandis que le JE permet une plus forte identification au personnage qui raconte et vit l’histoire.
Je vous ferai prochainement un article plus détaillé sur le sujet ✹
#4 Le parti-pris du narrateur
Plus encore que le choix de point de vue et le choix de narrateur, il y a encore un choix narratif à faire quant à la façon d’intervenir dans l’histoire du narrateur.
J’ai dit plus haut que le narrateur pouvait se faire transparent ou participer activement à la construction du récit en se comportant comme un conteur. Il y a une troisième façon pour le narrateur de se rendre visible : le narrateur menteur. Dans cette version, le narrateur n’hésite pas à mentir ou à cacher, rendant l’interprétation plus compliquée pour son lectorat.
Ce mode de narration a deux versants :
- Oublier / diminuer ses fautes dans le cadre d’une autobiographie : pour se mettre en avant, se protéger de la critique ou encore pour amadouer son lectorat, l’auteur·trice ne révèle pas toute la vérité. Je pense ici à J.J. Rousseau dans Confessions (vous l’avez certainement étudié à un moment de vos études !) ;
- Tromper le lecteur et l’embarquer dans un récit à double lecture : choisir une narration trompeuse dans le but de tromper le lectorat oblige ce dernier à une double lecture quand il réalise qu’il s’est mépris. Opter pour une narration complètement trompeuse est compliquée à réaliser et nécessite une certaine aisance !
#5 Le ton / la voix
Avant-dernier choix à faire pour l’auteur·trice qui a choisi un narrateur visible dans le récit : le ton / la voix qu’il va utiliser !
J’en parlais un peu plus tôt, Jane Austen a décidé de se montrer plutôt moqueuse et sarcastique lorsqu’elle prend la parole. Dans Badroulbouldour, le narrateur conteur se veut plus doux : il est clairement attaché à son personnage et le protège, bien qu’il s’en moque doucement.
Mais vous pouvez décider d’opter pour d’autres types d’interjections. Certain·e·s auteur·trice·s penchent pour ajouter du suspense et du mystère, tandis que d’autres se veulent plus humoristiques. À vous de voir ce qui vous correspond !
⚠️ Les limites
Quelque soit le choix que vous faites, faites attention à ne pas alourdir votre texte (c’est souvent le risque des interventions du narrateur) et à ne pas « couper la parole » de votre lectorat : si vous réagissez là où devrait réagir votre lectorat, cela peut l’empêcher d’entrer dans l’histoire ––à l’image des rires préenregistrés dans les comédies !
#6 Le choix du temps de narration
Allez-vous écrire au passé ou au présent ? Quel alliage narratif allez-vous prendre ?
Il n’y a, là encore, pas vraiment de règles (si ce n’est celles de la grammaire et de la concordance des temps) mais des usages. Les concordances de temps narratives les plus usitées sont :
- Le passé : passé simple + imparfait. C’est l’alliage le plus courant ;
- Le présent : présent simple / passé composé. On le retrouve par exemple dans Hunger games mais il est moins naturel en français car on est moins habitué à le rencontrer.
Libre à vous d’expérimenter d’autres choses mais sachez que vous vous rendrez la vie plus compliquez en tentant de nouvelles choses sur ce point spécifique. 🙂
Comment faire ces choix narratifs ?
Au-delà du point de vue, il y a donc plusieurs choix à faire au moment de construire la narration de son récit. Mais comment faire ces choix ? Comment choisir les différentes strates de narration de son récit ?
Avant de commencer : à chaque roman, son style
Vous le savez certainement déjà, mais je préfère le redire en début de cette partie : chaque roman a son propre style, chaque roman a ses propres strates de narration. Certaines histoires nécessitent d’être racontée en point de vue interne, via un personnage unique, d’autres seront plus intéressantes en point de vue omniscient avec un narrateur incisif ! Aussi le choix repose sur votre style littéraire mais pas seulement : le roman peut « décider » d’être raconté autrement !
#1 Écrire une scène test
Pour décider de la narration de votre roman, mon conseil premier serait d’écrire une scène test. N’importe laquelle (au début, au milieu, à la fin de votre texte). Écrivez et voyez ce qui en ressort.
N’hésitez pas à faire plusieurs essais : réécrivez cette scène test sous plusieurs styles jusqu’à trouver ce qui fonctionne pour vous et votre texte !
#2 Accepter la simplicité
Une grande majorité des romans est écrite :
- au point de vue omniscient
- à la troisième personne du singulier
- avec une narration transparente
Ce n’est pas une narration très originale mais c’est une narration qui fonctionne globalement bien et qui a le mérite d’être plus facile à mettre en oeuvre et de sonner naturellement aux oreilles de votre lectorat… Il n’est pas forcément nécessaire d’aller chercher midi à quatorze heures : essayez ce type de narration pour votre roman, notamment si c’est votre premier roman.
#3 Accepter son style
Ne cherchez pas à copier un style ou à adhérer au style narratif des fictions que vous avez lues. Le but est de trouver (et d’accepter) votre propre style narratif pour le livre que vous êtes en train d’écrire. Respectez votre style et votre aisance : soyez ok avec votre style ! Si vous vous sentez lourdingue à chaque fois que vous intervenez dans le récit (c’est mon cas ?), ne le faites pas. Ce récit, ou votre style, ne s’y prête pas.
#4 Comprendre que les choix narratifs impactent l’histoire
Les choix narratifs que vous allez prendre impactent forcément l’histoire et votre façon de la raconter. Réfléchissez-y en amont de votre rédaction.
Exemple : si vous optez pour une narration au JE avec un personnage qui participe activement à l’histoire vous ne pouvez pas vous permettre de le laisser inconscient pendant une partie de l’histoire… sinon, il n’y a plus personne pour raconter. Vous devrez dans ce cas trouver des alternatives : lui donner une vision pendant son inconscience, prendre un personnage point de vue remplaçant… mais bref : il vous faudra une solution !
#5 Ne pas hésiter à changer
Vous avez écrit la moitié de votre texte et vous réalisez que votre narration ne fonctionne pas ? Vous n’arrivez pas à développer un attachement aux autres personnages avec votre narration en point de vue interne ? Votre personnage ne participe pas assez à l’action pour que ce soit pertinent ? Changez. Changez votre intrigue ou modifier votre narration, mais changez.
Oui, cela demandera du travail mais vous ne gagnerez rien à vous accrocher à un style de narration qui ne fonctionnera pas pour un texte. Acceptez de vous remettre en cause !
✨✨✨
Aviez-vous réfléchi à toutes ces strates de narration au moment d’écrire ou sont-elles venues à vous naturellement ? Comment pensez-vous la narration de votre roman avant de commencer ?
Très belle fin de semaine,
Marièke
1 comment
Super intéressant comme article !
C’est vrai que le narrateur n’est pas forcément le personnage principal. Ça me donne envie d’écrire une petite scène avec chaque type de narrateur possible !
En tout cas, merci beaucoup pour l’article. Ça me donne plein de choses auxquelles réfléchir pour mes futurs romans.