Bonjour à toutes et à tous,
On se retrouve aujourd’hui pour parler d’un sujet sur lequel vous êtes nombreuses et nombreux à envoyer des messages : la gestion du suspense. Comment mettre du suspense dans un roman ? Comment ne pas trop en dire ?
Le suspense : c’est quoi ?
Le suspense est un anglicisme. Il a deux significations. D’une part, il s’agit d’une situation dont on attend avec anxiété l’issue. D’autre part, on l’accole au passage d’un livre ou d’un roman qui fait monter des émotions.
En d’autres termes, tout (bon) livre a besoin de suspense. Le suspense n’est pas réservé aux thrillers.
Le suspense doit être présent de plusieurs façons dans votre texte.
D’abord, c’est ce qui va donner faire tourner les pages de votre roman. C’est la façon dont vous allez agencer votre intrigue et votre roman pour votre lecteur·trice ait envie de lire la suite. Ensuite, ce sont les passages porteurs d’émotion et de trouble que vous allez glisser dans votre roman. Le but : apporter du suspense.
L’article qui suit va plutôt consister à expliquer comment bien gérer le suspense pour tenir en haleine votre lecteur·trice jusqu’à la fin de votre livre. Je ferai rapidement un article sur comment faire monter le suspense dans une scène.
Suspens ou suspense ?
Parce que je ne cesse de mélanger ces deux termes et que je voulais éviter de faire une faute dans cet article, j’ai fait une petite recherche. Je vous la partage si vous êtes dans le même cas que moi !
D’après le site La Culture Générale, le terme suspens trouve son origine dans le droit canonique. Il permet de désigner un ecclésiastique suspendu de ses fonctions. Le terme suspense, lui, vient de l’anglais – et découle de notre mot en français suspens. Mais on l’a compris, les deux termes n’ont rien à voir.
Dans la forme du récit
Il est d’abord possible de faire monter le suspense grâce au format de votre texte. Une bonne construction de votre livre va le rendre plus difficile à lâche. Je trouve que c’est un outil dont les mécanismes sont plutôt aisé à mettre en place.
#1 Jouer avec les points de vue
Pour ma part, je trouve que le point de vue omniscient est le point de vue où le suspense est le plus difficile à insérer. La personne qui narre l’histoire sait tout et livre… Pas facile de parvenir à filtrer les informations qui sont partagées ; le suspense est plus compliqué à maîtriser dans cette configuration.
A l’opposé, avec des points de vue interne ou externe, le suspense est, à mon sens, bien plus aisé à installer. Il est beaucoup plus simple et naturel de filtrer les informations. En point de vue interne, votre personnage dévoile ses pensées mais impossible de sonder celles des autres… En point de vue externe, seuls les actes des personnages sont visibles. Leurs pensées et leurs ambitions restent cachées. Autant dire que ce sont mes points de vue privilégiés.
À noter : le point de vue interne mais tournant d’un personnage à l’autre est aussi particulièrement efficace. En effet, il permet de montrer tour à tour les intentions et les anticipations des différents personnages.
#2 Jouer avec les enchainements de scènes
Ah le fameux cliffhanger ! Ou l’outil préféré de vos séries préférées 😉
Savoir bien couper puis enchaîner une scène (ou un chapitre) est un art maitrisé par les scénaristes des séries depuis plusieurs années. En appliquant bien ces principes à votre roman, vous pouvez en faire un page-turner. En VF, un livre que l’on ne peut pas lâcher du fait du suspense.
En général, il s’agit de couper pile au moment où le suspense est à son comble : le personnage principal est en mauvaise posture, une révélation importante a été faite ou doit être faite…
Parmi les livres qui m’ont marqué et qui utilisaient ces ingrédients, le tome 1 de Hunger Games : point de vue interne + cliffhanger permanents = livre inlâchable.
Si cela vous intéresse, je pourrais vous proposer un article sur comment bien couper ses scènes. 🙂 Dites-moi si le sujet vous dit !
#3 Alterner l’intensité des scènes
Même si vous travaillez sur un thriller, il peut être particulièrement intéressant de temporiser en alternant des scènes emplies de suspense et des scènes moins dense. Le but : permettre au lecteur d’avoir le temps de ressentir des émotions ET de sentir monter (et descendre) les émotions.
Dans la même idée, il est intéressant d’apporter, régulièrement, quelques réponses et résolutions aux différentes intrigues. Cela permet à votre lecteur·trice de se sentir satisfait pendant un petit temps – même s’il ne s’agit là que d’une petite réponse, voire d’une fausse piste (niark, niark, niark !).
Dans la construction de l’intrigue
Au-delà de la forme du roman, vous pouvez aussi jouer sur la façon de construire votre intrigue pour insérer du suspense.
#1 Jouer avec les enjeux
Il y a quelques mois, je vous proposais un article sur les notions de conflits et d’enjeux. Je ne peux que vous inviter à aller y jeter un oeil.
En résumé : ce sont les enjeux qui vous ajouter du suspense à votre histoire. Dans un roman où les héros sont intouchables / immortels : vous pourrez leur opposer toutes les péripéties du monde, il n’y aura pas de suspense… Votre lecteur·trice ne s’inquiétera pas pour eux. Et pour cause : ils ne risquent rien !
Quand JRR Martin tue Edward Starck (c’est un spoiler prescrit) à la fin du tome 1 de sa saga Game of Thrones, il passe un message clair : aucun personnage n’est intouchable. C’est ainsi que le suspense et la peur s’installe en faveur des différents personnages dans les tomes suivants.
Alternative moins sanglante : Vous n’êtes pas obligé de tuer un personnage pour mettre du suspense dans votre texte… Mais n’hésitez pas à montrer les risques encourus par vos personnages en cas d’échec ! Ainsi, presque tous les films Pixart font vivre à leur personnage une première (petite) défaite (avec des conséquences minimes) pour montrer l’enjeu de la prochaine bataille.
#2 Jouer avec les personnages
Certains personnages sont un suspense à eux tout seuls. Les personnages imprévisibles (qui n’obéissent à aucune loi ou qui n’obéissent qu’aux leurs) sont porteur de suspense.
Le professeur Rogue, par exemple. Agent double ou pas ? Méchant ou pas ? A chaque fois qu’il est présent dans une scène, l’atmosphère se tend, l’inquiétude augmente. Est-il là pour faire une crasse aux héro·ïne·s ou pour les sauver ?
⚠️ Petite limite
Il peut être dangereux d’accoler du suspense ou des mystères sur le personnage principal de votre texte. En effet, le lecteur risque de se sentir mis à distance du personnage et de ne pas parvenir à s’y attacher.
Difficile par exemple d’écrire un personnage qui cache un lourd secret – croyez moi, c’est le défi que je me suis lancée pour mon roman Des médias et des hommes et je galère ? (Comme quoi les conseils d’écriture…)
Dans l’écriture
#1 Les limites de la répétition
Je ne parle pas de répétition dans un sens grammatical (le fait de répéter le même mot), mais bien de se répéter dans le texte dans le but d’aider à la compréhension. Expliquer son texte est souvent une erreur en terme de suspense – « c’est là où ça fait peur ! Aie peur ! » Ou « Attention je te mets un indice ici ! Tu le voies ? Ici j’ai dit ! ».
J’ai reçu un conseil qui m’a marqué et qui appuie cette idée : « Ne prends pas ton lecteur pour un idiot. » En d’autres termes, votre lectorat est capable de comprendre et de voir vos indices – d’autant plus si c’est un habitué du genre. Ne cherchez pas à appuyer vos indices.
Si vous avez le sentiment que ce n’est pas compréhensible ou que vos bêta-lecteur·trice·s passent à côté d’une idée, peut-être est-ce tout simplement votre formulation ou votre paragraphe qui ne tient pas la route. (Ça m’arrive souvent : « mais si, je le dis à la page… Ah, bah non. »)
#2 Les limites de l’anticipation
Bien mal lui en avait pris… C’est ce qu’il allait découvrir dès le lendemain.
Texte au pif. C’est une phrase un peu cliché 😉
Cet effet d’anticipation peut être efficace pour faire monter le suspense. Mais il faut l’utiliser avec soin et parcimonie.
D’une part, parce que l’anticipation implique d’avoir un narrateur omniscient ou au moins un narrateur qui sait déjà ce qui va se passer. Cet effet ne fonctionne pas avec toutes les narrations. Comment votre narrateur interne au présent peut-il connaître l’avenir ? ?
D’autre part, parce qu’en créant le suspense ainsi, vous créez un suspense un peu artificiel. Vous indiquez à votre lectorat quand il doit anticiper un suspense et, parfois, ce qu’il doit anticiper et craindre… C’est un peu téléphoné.
Parmi les outils cités dans cet article : lesquels utilisez-vous pour mettre du suspense dans vos textes ? En utilisez-vous d’autres que vous avez clairement identifiés ? Indiquez vous les éléments de suspense dans votre plan ou apparaissent-ils naturellement à l’écriture ?
Et n’hésitez pas à me dire si vous êtes intéressé·e par un article sur le suspense au sein même d’une scène.
Dites-moi tout !
Beau weekend,
Marièke
18 comments
Article intéressant et pertinent, à mon avis ! Par contre, il y a quelques coquilles par-ci par-là 🙂
Pour ma part, j’aime bien jouer avec les points de vue d’un chapitre à l’autre, même si ce n’est pas forcément pour des raisons de suspense. Par contre, j’ai beaucoup de mal avec les livres où on trouve du suspense « anticipé », je trouve que c’est de la triche et que ce n’est la plupart du temps pas nécessaire.
En tout cas, je serais intéressée également par des articles sur le découpage des scènes et le suspense au sein d’une même scène. J’ai un peu de mal à découper les scènes de manière à créer du suspense sans que ça fasse artificiel.
Coucou ! Je fais mon possible pour limiter les coquilles mais mon blog reste un passe-temps et je préfère prendre le temps de faire de nouveaux articles plutôt que de lire et relire et relire encore 😉 Merci pour ton commentaire et je note ton intérêt pour un article sur le découpage des scènes !
Excellent article, tes analyses sur les points de vue m’ont particulièrement intéressée. J’écris aussi un truc en ce moment, et j’ai choisi le point de vue interne de mon héroïne principale, en me disant que comme ça, les lecteurs/ices s’identifieraient plus facilement à elle. Hé bien ça a super bien fonctionné ! Par contre, je me suis rendue compte de l’inconvénient : impossible de sortir de ce que voit, sent ou entend l’héroïne. Impossible de décrire une scène à laquelle elle n’assiste pas. Mais bon, je me réserve la possibilité de faire en changement de point de vue dans la 2e partie. Niveau suspense, je coupe en effet au bord des révélations essentielles ou juste avant. Effet garanti. Et mon autre personnage principal est très, très, très secret. Du coup, on ne sait jamais comment il va réagir et on en sait très peu sur lui. Du coup, on le découvre très très lentement. ça marche bien je crois :). Voilà ! Et oui, suis partante pour un article sur les scènes 🙂 Merci pour ce post !
Oui, c’est la grosse difficulté du point de vue interne à la première personne !
La difficulté d’ajouter un autre personnage, par contre, c’est souvent qu’il est ajouté à des fins « de fonctionnement d’intrigue » et qu’il est souvent moins travaillé et moins intéressant que le premier personnage 🙂 Donc attention de bien le bosser 😉
Bonjour Marièke ! Je suis ton blog depuis quelques semaines mais c’est la première fois que j’y poste un commentaire 🙂
La coincidence est assez amusante : tu postes cet article sur le suspense pile alors que je suis en plein travail sur un exercice d’écriture dont le but est de faire monter le suspense le plus insoutenable possible sur 4 pages. Un vrai défi, car le suspense est un art délicat.
J’applique déjà une partie de tes conseils : point de vue interne, enjeux à mon sens assez forts (personnage qui se réveille dans un endroit inconnu, enfermé, et qui ignore comment il est arrivé là et s’il est en danger). J’ai toutefois tendance à trop en dire et à faire des répétitions, comme tu dis. C’est à dire à ne pas appliquer le « Ne dites pas, montrez » qui est cher à la dramaturgie. Tu le soulignes dans cet article, j’y ferai donc attention à la relecture 🙂
En tout cas, comme c’est mon premier commentaire j’en profite pour te féliciter pour ce magnifique blog qui est une mine d’or et une belle source de motivation ! Au plaisir de lire les prochains articles 🙂
Bonjour et bienvenue du coup 😉
Merci pour ton commentaire, c’est toujours très agréable et sympathique d’avoir des retours sur son travail 🙂
Quel organisme (ou auteur/autrice) suis-tu pour tes exercices d’écriture ?
Très enrichissante lecture, merci !
J’avais un peu peur en abordant ton texte, parce que je viens de rédiger un billet sur le suspense (pas encore publié), et que j’avais peur de la redite, mais je crois que les deux articles se complètent bien.
Bonjour ! Il y a forcément des points qui peuvent se répéter j’imagine mais on a chacun notre façon d’aborder cette problématique commune aux auteur·trice·s 🙂
Article très intéressant. Il est en effet important de lier la création du suspense au choix du point de vue. Tout approfondissement sur le sujet sera le bienvenu.
Merci pour votre retour ! Je note votre idée d’article 🙂
Alors, pour ma part, je me suis inspirée de Silo (j’écris de la SF) où le narrateur change à chaque chapitre. Du coup, cela tient en haleine, et il m’est arrivé pour le tome 2, de me dépêcher de lire les chapitres pour voir ce qu’il se passait. Car l’auteur finissait un chapitre en laissant planer le suspens. Et hop, on passait à l’autre protagoniste (grrrrrrrrrrr). Je vous assure que d’avoir plusieurs narrateurs c’est vraiment pas mal. Pour mon roman de SF, j’ai quatre protagonistes dont un qui n’est pas celui qu’il dit être (suspens suspens)
Oui, les sauts entre plusieurs personnages principaux sont souvent vecteurs de suspense. C’est le cas dans Game of thrones aussi 🙂
Le seul truc c’est que c’est une écriture qui n’est pas du tout évidente car il faut parvenir à bien ficeler 4 personnages et à leur donner 4 voix différentes et 4 intrigues cohérentes : pas facile 😉
Un article très complet ! Et qui répond à plusieurs de mes interrogations. Personnellement je travaille sur des webcomics et je privilégie les points de vue interne en alternant les personnages. Je m’inspire beaucoup du jeu Odin Sphère qui exploite ce principe à la perfection avece des cinq personnages principaux. Merci beaucoup pour tes conseils !
Oui, c’est une bonne solution. Comme je le disais en commentaire un peu avant, c’est que c’est une écriture qui n’est pas du tout évidente car il faut parvenir à bien ficeler ses X personnages et à leur donner X voix différentes et X intrigues cohérentes : pas facile ?
Ouais, bé moi, j’ai été obligé de changer de « narrateur ».
Il faut lire « Ultime récit » pour comprendre : je devais mourir, j’ai donc conçu « mon » ultime récit.
Mais comme j’ai survécu entre-temps, il a bien fallu que j’invente un « biais » pour poursuivre (« Ultime récit – suite ») et tous les autres qui ont suivi.
Mon narrateur est donc embarqué dans une histoire qui n’est pas la sienne et dont il voit et rapporte le déroulé qu’il ne comprend pas sur le moment.
Ce qui crée du suspense, au moins pour lui, une tension qu’il rapporte.
Ca, plus les coupures de chapitre, les questions restées sans réponse, les liens « cachés » entre les personnages qui ne se dévoilent pas et créent des confusions ou des malentendus parfois ubuesques, c’est une autre façon de créer du suspense.
J’aime bien les mettre en porte-à-faux ou les laisser se mettre dans des situations impossibles, sans même savoir quand je les y plonge comment ils vont s’en sortir.
Marrant comme tout !
I-Cube
Le choix de narrateur et de narration est effectivement un excellent moyen de mettre du suspense. Après ce n’est pas toujours facile à maitriser 🙂 Bon courage car j’imagine que ce doit être tendu 😉
– les enjeux, l’enchaînement de scènes et leur intensité. La relecture est en cours. J’aime bine la structure de tes articles, merci pour tes partages.
Merci !!