Il y a quelques semaines, je demandais à Rahma, une amie juriste et spécialisée dans la propriété intellectuelle, de me faire un point sur les outils dont disposait un auteur pour protéger ses textes. Je vous laisse les découvrir. N’hésitez pas à poser vos questions, je les lui transmettrai. Elle y répondra via son propre blog.
Juste avant de passer la parole à Rahma, je souhaiterais préciser qu’il s’agit ici de rassurer les auteurs inquiets de présenter leurs textes et de leurs donner des outils pour les protéger. Une amie qui travaille dans l’édition m’a par ailleurs indiqué que les cas de vol de textes par les maisons d’édition étaientt très rares pour ne pas dire inexistants.
C’est à toi, Rahma 😉
Pourquoi protéger ses textes ?
Après s’être investi corps et âme et avoir travaillé sans relâche pour produire l’œuvre littéraire du siècle, personne n’est prêt à voir un(e) autre s’en approprier la paternité, ni (encore pire ?) la taillader à coup de plume/clavier…
Tout auteur a donc besoin de protéger sa paternité sur son œuvre (le fait que ce soit bien lui qui l’ait créée) ainsi que l’intégrité de cette dernière (pour qu’elle ne soit pas dénaturée, que l’on ne lui ajoute ni ne lui enlève pas la moindre virgule) afin d’être en mesure d’intenter une action légale en cas d’atteinte à ses droits.
Objet du droit d’auteur
Toutes les œuvres de l’esprit sont protégées, indépendamment de leur genre, de leur forme d’expression, de leur mérite ou de leur destination (Code de la Propriété Intellectuelle, article L112-1).
Ce qui englobe, bien évidemment, les textes littéraires, mais aussi les textes non-littéraires (écrits scientifiques, conférences, plaidoiries, sermons, …), la musique, les chorégraphies, le dessin, les pièces de théâtre, les films, … les logiciels ! (L’article L112-2 du Code de la Propriété Intellectuelle en fournit une liste non-exhaustive.)
Principe du droit d’auteur : une protection sans formalités
En principe, le droit d’auteur naît en même temps que l’œuvre, du simple fait de la création de celle-ci (Article L-111-1 du Code de la Propriété Intellectuelle). En théorie, l’auteur n’a donc pas besoin d’effectuer de formalités pour que sa création soit légalement protégée.
La question de la preuve
Seulement, en cas de conflit, il appartient à l’auteur de prouver sa paternité sur l’œuvre ainsi que la date de création de celle-ci : en cas de litige, sera reconnu auteur celui qui prouvera qu’il a créé l’œuvre en premier.
Concrètement, il s’avère donc très utile de recourir à des formalités de protection.
Les différentes façons de protéger son texte
Auprès de l’INPI
L’institut National de la Propriété Industrielle (propriété de laquelle ne relève d’ailleurs pas le droit d’auteur) propose le service « Enveloppe Soleau » permettant de « déposer » une œuvre littéraire (ainsi que plusieurs autres types de créations de l’esprit).
Les conditions d’un tel « dépôt » :
- Seuls les textes n’excédant pas 7 pages A4 sont admis et l’enveloppe, une fois remplie, ne doit pas mesurer plus de 5 mm d’épaisseur, ceci afin de respecter le format imposé par la machine.
- En raison de la perforation de l’enveloppe par un laser (prouvant la date de « dépôt »), l’enveloppe ne doit pas contenir de corps dur (donc pas d’agrafe ni de trombone, mais également pas de support CD, ni clé USB).
- Coût et durée : le recours à l’enveloppe Soleau (pour la commandez, ça se passe dans la boutique de l’INPI) vous reviendra à 15€ par « dépôt », ceci pour une durée de 5 ans, renouvelable une fois (à vous de retenir la date, l’INPI ne vous enverra pas de rappel).
>> À savoir : vous pouvez également prendre gratuitement rendez-vous auprès d’un conseiller de l’INPI qui vous informera plus en détails sur la protection de votre texte, et vous orientera, le cas échéant, vers une structure plus à même de correspondre au type de protection recherché.
Coordonnées
I.N.P.I.
15, rue des Minimes
CS50001
922677 COURBEVOIE CEDEX
Téléphone : 0820 210 211
Site internet : www.inpi.fr
Auprès d’un huissier de justice ou d’un notaire
Vous pouvez « déposer » votre œuvre auprès d’un huissier de justice ou d’un notaire. Il n’y a, a priori, pas de limites particulières. Les conditions, la durée et le coût dépendront de ce que vous proposera le professionnel que vous contacterez.
Retrouvez l’annuaire des huissiers de justice de France.
Le site des notaires de France.
Auprès d’une société d’auteurs
- La S.G.D.L.
La Société des Gens De Lettres est vouée à la protection et à la défense des droits des auteurs, quel que soit leur type d’écrit, et ce, que l’écriture soit leur activité principale ou non. La S.G.D.L. s’implique, tant au niveau national qu’au niveau européen, dans tous les grands débats juridiques et économiques touchant le droit d’auteur.
Les conditions de ce dépôt :
- les conditions sont plus souples : il n’y a pas de longueur maximale au texte, et il est possible de le déposer sous format numérique.
- Coût et durée : le coût est de 45€ par « dépôt » (40€ si vous préenregistrez le formulaire en ligne), valable 4 ans et renouvelable indéfiniment (la S.G.D.L. vous envoie un rappel).
>> À savoir : si vous avez déjà été publié à compte d’éditeur, vous pouvez demander à adhérer à la S.G.L.D., qui mettra alors à votre disposition ses différents services (conseils juridiques et fiscaux, aide pour les démarches administratives et fiscales, accompagnement dans la relation auteur-éditeur, séances de professionnalisation, …).
La S.G.D.L. met également à la disposition des auteurs le service Cléo : un service de « dépôt » dématérialisé permettant d’éviter de transférer des données en ligne.
Au moyen de l’application « Cyberclé », une signature numérique (sous forme d’une succession de chiffres et de lettres) horodatée est attribuée à l’œuvre, permettant son identification ainsi que sa datation. Il appartient l’auteur, dès la génération de la signature, de l’appliquer à l’œuvre, par l’intermédiaire du support sur lequel il l’a sauvegardée.
Les conditions de ce dépôt numérique :
- L’auteur doit impérativement sauvegarder son œuvre sur un support externe (CD-Rom, DVD, clé USB).
- La taille maximale admise pour le fichier est de 10Go (pour info : un roman de 52 000 mots sans images sous Word et avec une table des chapitres fait environ 212 Ko).
- Coût et durée : le tarif est de 10€ par an, dégressif lorsque l’on prend des abonnements (plusieurs œuvres pour une année ou plusieurs années pour la même œuvre).
>> À savoir : Il existe également le service Cléo+, avec transfert de données. La S.G.D.L. vous assure donc la sauvegarde d’une copie de l’œuvre. Dans ce cas, il n’y a plus de taille limite pour le fichier, mais il faut s’acquitter, en plus des 10€/an, de la somme de 2€ par tranche de 10Ko.
Coordonnées :
S.G.D.L.
Hôtel Massa
38 rue du Faubourg St-Jacques
75014 PARIS
Téléphone : 01.53.10.12.00
Site internet : www.sgdl.org
- La S.C.A.M.
La Société Civile des Auteurs Multimédia met à la disposition des auteurs (adhérents ou non) le service Clicdépôt permettant de « déposer » un texte (manuscrit, scénario, …), une image, etc.
Les conditions d’un tel dépôt :
- Là encore, il n’y a pas de longueur maximale au texte, et il est possible de le « déposer » sous forme opto-numérique (DVD ou cédérom).
- Coût et durée :
Au choix de l’auteur :- « dépôt » en ligne : 18€ pour 3 ans
- « dépôt » physique : 23€ pour 2 ans ou 38€ pour 5 ans
- Dans les deux cas, les dépôts sont renouvelables indéfiniment, sur rappel de la S.C.A.M.
Coordonnées :
S.C.A.M.
5 avenue Vélasquez
75008 Paris
Téléphone : 01 56 69 58 58
Site web : www.scam.fr
- La S .A.C.D.
La Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques a pour vocation de défendre les intérêts et les droits de ses membres, et à ce titre perçoit pour eux leurs « droits d’auteur » (rémunération) puis les leur redistribue.
Elle propose également aux auteurs un service de « dépôt » de leurs œuvres.
Les conditions d’un tel dépôt :
- Ici, les conditions sont d’une grande souplesse. En effet, toute œuvre peut être « déposée » (œuvre littéraire et autres écrits, mais aussi chorégraphie, œuvre théâtrale, radiophonique, télévisuelle, graphique, logiciel…), et ce, sur tout support (papier, vidéo, clé USB, CD-Rom).
- Il n’est pas nécessaire d’adhérer à la S.A.C.D. pour pouvoir « déposer » son texte.
- Coût et durée :
- « dépôt physique » : 46€
- « dépôt » en ligne = e-dpo : 20€ pour un « dépôt » unique, 40€ l’abonnement pour 3 « dépôts » (Attention, il s’agit de tarifs de lancement !)
- La durée est de 5 ans, renouvelable indéfiniment. Il vous appartient de retenir la date, sauf en cas d’e-dpo : vous recevez un mail de rappel avant l’échéance.
>> À savoir : Il existe une S.A.C.D. dédiée à la Belgique et une S.A.C.D. dédiée au Canada.
Coordonnées :
S.A.C.D.
9 rue Ballu
75009 Paris
Téléphone : 01 40 23 44 55
Site web : www.sacd.fr
S.A.C.D. – Pôle Auteurs Utilisateurs :
9 rue Ballu
75442 Paris Cedex 09
Téléphone : 01.40.23.44.55
Contact : depot@sacd.fr
- Le S.N.A.C.
Le Syndicat National des Auteurs et des Compositeurs s’intéresse à la défense des auteurs d’œuvres artistiques, à l’exclusion des œuvres d’arts plastiques et graphiques. Dans cette optique, il propose, lui aussi, un service de « dépôt » des œuvres.
Les conditions d’un tel dépôt :
- Tous les supports sont acceptés, cependant le support papier (partitions pour la musique) est fortement conseillé. Par contre, le « dépôt » doit répondre à des critères assez précis : il est possible de déposer :
- Soit 1 texte long (roman, scénario, nouvelle, recueil, ouvrage d’enseignement, etc.)
- Soit 1 à 8 textes courts (poèmes, paroles de chansons, sketches, synopsis, etc.)
- Soit 1 à 4 chansons (paroles et musiques)
- Soit 1 à 4 compositions musicales ou arrangements de compositions musicales.
- Coût et durée : Le coût est de 35€ par « dépôt » pour une durée de 5 ans. Il est renouvelable indéfiniment ; par contre, le S.N.A.C. ne vous enverra pas de rappel.
>> À savoir : Il n’est pas nécessaire d’adhérer au S.N.A.C. pour y « déposer » une œuvre. Contrairement à l’INPI et aux sociétés précédentes, les personnes morales ne peuvent pas y déposer d’œuvre.
Coordonnées :
SNAC – service des dépôts
80 rue Taitbout
75009 Paris
Téléphone : 01.48.74.96.30
Site web : www.snac.fr
Contact : snac.fr@wanadoo.fr
Par l’envoi à soi-même d’un courrier recommandé
Cette solution est souvent décriée, or elle a exactement la même valeur juridique que les précédentes, à savoir : l’apport d’une preuve que Monsieur X. a bien créé l’œuvre L à la date T.
>> À savoir : Il est très important de choisir le mode « recommandé avec accusé de réception » et de NE PAS ouvrir l’enveloppe réceptionnée. Seule la réunion de ces deux conditions permettra de conférer une date certaine de création à l’œuvre (d’après le cachet de la poste) ainsi que d’en garantir l’intégrité (= prouver que vous n’avez rien ajouté, enlevé ou modifié après réception).
Comment défendre son texte ?
En prenant contact avec un avocat, de préférence spécialisé en droit de la propriété intellectuelle, en droit d’auteur, qui intentera une action en contrefaçon.
Retrouvez l’annuaire des avocats de France.
Quelques remarques pour conclure
Toute publication (numérique ou papier, à compte d’éditeur ou d’auteur) sous votre nom vaut présomption de votre qualité d’auteur (article L113-1 du Code de la Propriété Intellectuelle). Une fois votre texte publié, vous n’avez plus à prouver que vous en êtes bien l’auteur. En cas de litige, ce sera à l’autre partie de prouver que vous ne l’êtes pas / que c’est elle qui l’est, en prouvant qu’elle a écrit ce texte avant vous.
Contrairement à ce que l’on pense, le plagiat (action de s’attribuer indûment des passages de l’œuvre d’un autre auteur) n’existe pas en droit français ; il n’est donc pas puni. C’est la contrefaçon (toute atteinte aux droits d’un auteur sur son œuvre) qui l’est. Les juges apprécieront, au vu des ressemblances entre les deux œuvres, si l’action en contrefaçon est fondée ou non. (Pour plus de précisions, voir mon article à venir sur la contrefaçon.)
Lors de la signature du contrat avec l’éditeur, si vous lui cédez la totalité de vos droits patrimoniaux, vous ne pourrez plus agir, à ce titre, devant les tribunaux. (Cela dit, dans ce cas, l’éditeur, y ayant intérêt, le fera certainement, lui, s’il y a contrefaçon de votre oeuvre.)
Ces modes de protection ne sont valables que pour la France. Pour protéger votre texte dans d’autres pays, référez-vous au droit de la propriété intellectuelle local.
Le « dépôt » de manuscrit en vue d’une protection n’est pas le dépôt légal. Ce dernier est une formalité obligatoire, généralement effectuée par l’éditeur, une fois le manuscrit publié, auprès de la Bibliothèque Nationale de France, afin de pouvoir le mettre à la disposition du public.
Avant de « déposer » votre texte, consultez les conditions de soumission des manuscrits de la maison d’édition que vous visez : de mémoire, je crois me souvenir que certaines maisons d’édition exigent qu’aucune démarche officielle n’ait été réalisée. J’essaierai de vous retrouver la(les)quelle(s), ce serait trop bête de rater une publication pour cette raison. Et, si vous vous trouvez dans cette situation, il vous reste toujours la bonne vieille méthode du courrier recommandé auto-adressé.
Et enfin, pour plus de sécurité, je vous recommande vivement de combiner plusieurs modes de protection. Par exemple : SGDL + courrier recommandé adressé à soi-même + envoi par e-mail à soi-même et/ou à une personne de confiance (en mettant en objet : « TITRE, NOM de l’auteur, Prénom de l’auteur, manuscrit terminé »). Tous ces éléments de preuve se consolident entre eux.
Rahmatou SANGOTTE de Dis-le-en-livres.
5 comments
Bonjour,
J’ai bien une question: que vaut la protection par l’envoi d’email à soi-même (ou autrui)? La date ne fait pas question, mais à quel point serait-ce recevable en cas de recours?
Merci pour ta question, je la transfère de ce pas à qui de droit et je reviens vers toi avec une réponse 🙂
Bonjour Marièke, merci pour cette belle synthèse!
Sauriez-vous ce qu’il en est, plus particulièrement, d’un texte de nature scientifique?
Superbe article ! Merci !
[…] Protéger ses textes, par Marièke Poulat […]