À la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle, le roman français traverse une crise : les codes resserrés des genres du 19e siècle semblent enfermer les auteurs et les autrices qui cherchent à innover en matière d’écriture et de construction narrative. Quels courants littéraires ont vu le jour au 20e siècle ? Et les genres romanesques francophones du 20e siècle ? Quant aux nouveautés en matière d’écriture, quelles furent-elles et lesquelles subsistent aujourd’hui ? Bref : comment le roman francophone a-t-il évolué au 20e siècle ? Regardons ça ensemble !
✨ Pourquoi ce sujet ? J’ai eu envie d’aborder ce sujet pour deux raisons. D’une part, le thème du roman francophone au 20e siècle est abordé au lycée en cours de français et de littérature–c’est une bonne piqûre de rappel pour les étudiants en révision. D’autre part, il est intéressant de travailler sur l’évolution du format romanesque francophone au fil des ans. Je vous proposerai certainement prochainement un point sur Le roman au 19e siècle.
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Les nouveaux courants littéraires du 20e siècle
En opposition aux mouvements littéraires très normés du 19e siècle (le romantisme, le réalisme et le naturalisme), plusieurs genres et courants romanesques voient le jour au 20e siècle dont les principaux sont le surréalisme, l’absurde (l’existentialisme et le non-sens) et le Nouveau roman.
Le surréalisme
Le surréalisme est un mouvement littéraire (poétique et romanesque) et plus largement artistique qui repose sur la libération des arts grâce aux forces psychiques (automatisme, rêve, inconscient) libérées elles-mêmes du contrôle de la raison et des conventions sociales. Elle est liée à la révolte incarnée par le mouvement dada (dadaïsme) tout à la fin de la Première Guerre mondiale. Le surréalisme se caractérise aussi par la transdisciplinarité (mélange des arts) et la forte collaboration entre ses membres.
? Auteurs et autrices
- André Breton
- Louis Aragon
- Paul Éluard
? Bibliographie
Nadja, de André Breton
L’absurde, l’existentialisme et le non-sens
L’absurde, l’existentialisme ou encore le non-sens en littérature est un courant littéraire et philosophique qui dénonce l’absurdité du monde, le non-sens de l’existence et du langage. Les personnages insignifiants parlent, attendent, agissent inutilement ou de façon incompréhensible et bizarre dans un monde mécanique, stérile et déshumanisé.
? Auteurs et autrices
- Albert Camus
- Jean-Paul Sartre
- Samuel Beckett
- Eugène Ionesco
? Bibliographie
De l’insoutenable légèreté de l’être, de Milan Kundera
L’Étranger, de Albert Camus
Le Nouveau roman
Le Nouveau Roman est un courant littéraire dont les auteurs explorent les consciences de personnages anonymes, étranges et indéfinissables. Il se qualifie par sa prise de distance avec les mouvements littéraires du 19e siècle et commence à se structurer dans les années 70 bien que cela ne dure pas : nombre de ses auteurs s’en détachent.
? Auteurs et autrices
- Michel Butor
- Alain Robbe-Grillet
- Nathalie Sarraute
? Bibliographie
La Modification, de Michel Butor
Le procès-verbal, de Jean-Marie Gustave Le Cézio
Les trois genres romanesques qui dominent le 20e siècle
Si le roman-fleuve marque tout autant le 19e siècle et le début du 20e siècle, deux autres genres romanesques se démarquent tout particulièrement au 20e siècle : le roman engagé et l’auto-fiction.
Le roman-fleuve
Le roman-fleuve est un roman en plusieurs tomes (souvent plus d’une dizaine). Ces tomes forment un tout, dans lequel se retrouvent les mêmes personnages d’un tome à l’autre, mais peuvent néanmoins se lire séparément. À la différence des deux autres genres romanesques qui ont rythmé le 20e siècle, le roman-fleuve prend ses racines au 19e, notamment au travers des romans feuilletons dont il découle. Il a par la suite donné lieu aux sagas familiales dont chaque tome décrivent la vie d’un membre de la famille / d’une génération de la famille.
? Auteurs et autrices marquant·es du genre
- Marcel Proust
- Balzac
? Livres marquants du genre
À la recherche du temps perdu, Proust
Le roman engagé
Le roman engagé est un roman qui met l’accent sur les idées politiques et les valeurs de son auteur·trice. Il existait au 19e siècle sous la forme du roman naturaliste (Émile Zola en était l’auteur le plus reconnu) mais il s’affirme encore car l’auteur·trice du roman engagé est amené à partager sa morale et ses pensées dans le roman–à la différence du roman naturaliste qui se voulait descriptif plutôt que moralisateur.
? Auteurs et autrices marquant·es du genre
- Céline
- Albert Camus
? Livres marquants du genre
Voyage au bout de la nuit, Céline (anti-guerre et anti-capitaliste, l’auteur est aujourd’hui critiqué pour son antisémitisme)
La peste, Albert Camus (contre le totalitarisme)
L’autofiction
L’autofiction se rapproche de l’autobiographie en ce qu’elle consiste pour l’auteur·trice à raconter sa vie ou un épisode de sa vie. Elle s’en écarte cependant car elle n’a pas d’enjeu de vérité, à la différence de l’autobiographie qui se veut réaliste. Ainsi, l’autofiction mêle vrai et faux, souvent dans le but de renforcer le propos et l’adhésion au récit.
? Auteurs et autrices marquant·es du genre
- Romain Gary
- Amélie Nothomb
? Livres marquants du genre
La promesse de l’Aube, de Romain Gary
Poil de carotte, de Jules Renard
Les expérimentations littéraires ayant lieu au 20e siècle
Enfin, le 20e siècle a été marqué par différentes expérimentations littéraires sur les romans publiés à cette période. La plupart sont encore largement adoptées par les auteurs et les autrices francophones aujourd’hui.
Expérimentations autour de la narration
Plusieurs expérimentations sont menées.
- Identification au personnage : l’identification passe par l’identification à l’auteur·trice. On remarque ce changement dans le développement du genre de l’autofiction ;
- Abandon (relatif) du point de vue omniscient : le point de vue omniscient (qui consiste pour l’auteur·trice à donner à son lectorat toutes les informations) est peu à peu délaissé au profit du point de vue interne voire de la multiplicité des points de vue (roman choral) ;
- Usage du pronom JE : le pronom JE pour désigner les personnages est de plus en plus utilisé (ce qui est cohérent avec l’augmentation des romans écrits et publiés en point de vue interne) ;
- Rupture dans la narration : la narration est de plus en plus éclatée. Elle n’est plus seulement chronologique et les points de vue changent.
Expérimentation au niveau de la forme
- Usage modifié de la ponctuation : la ponctuation est utilisée à des fins différentes de son usage “classique” dans certains romans–pour voir. C’est le cas dans La modification, de Michel Butor : l’auteur passe d’un paragraphe à l’autre sans terminer sa phrase, sans utiliser la ponctuation traditionnelle ;
- Usage des métaphores : les métaphores, ces figures de style qui consiste à utiliser des images, sont plus utilisées ;
- Ajout de règles spécifiques : La disparition, publié en 1969, est un lipogramme de Georges Perec : cela signifie que l’auteur a choisi d’écrire tout son roman sans utiliser la voyelle « e ». Cette idée correspond au courant littéraire nommé l’Oulipo (OUvroir de LIttérature POtentielle) marquant par les contraintes que s’imposent les auteurs pour écrire leur roman ;
- Acceptation d’un style moins châtié : au 20e siècle, le style est peu à peu déstructuré. Là où le “beau style” était surreprésenté durant les siècles précédents, il est plus adapté au langage familier au 20e siècle. À noter : cela ne correspond pas forcément à l’augmentation de la lecture dans la société–le feuilleton était particulièrement populaire au 19e siècle.
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Le roman francophone a beaucoup changé au 20e siècle. Les évolutions du format romanesque, de par l’apparition de nouveaux genres et des expérimentations littéraires, se retrouvent aujourd’hui au 21e siècle : autofiction, romans engagés et romans au point de vue interne. Quelles évolutions des romans avez-vous remarqué au 21e siècle ?