Vis ma vie d’illustratrice : Tiphs

by Marièke

J’ai rencontré Tiphs il y a deux ans, lorsque j’étais à la recherche d’une illustratrice pour mon roman Pouvoirs. J’ai beaucoup apprécié son portfolio et notamment des illustrations réalisées pour l’un de ses projets personnels. Nous avons ainsi collaboré sur la couverture de mon roman. (Enfin, collaboré… Elle a proposé et dessiné et j’ai validé ^^’). Je suis contente de lui donner la parole aujourd’hui : dans le cadre de cette nouvelle série sur Les métiers du livre, elle nous parle de son métier d’illustratrice.

*****

Peux-tu te présenter ?

Je m’appelle Tiphaine, et j’exerce mon métier d’illustratrice sous le pseudo Tiphs. Niveau études, j’ai fait un bac S dans l’optique de devenir géologue, avant d’entrer sur un coup de tête à l’école de communication visuelle Brassart Nantes, dont je suis sortie diplômée en 2011. Ça a pris un peu de temps, mais aujourd’hui, l’illustration est mon unique travail, que j’exerce à temps plein. Je le double avec une casquette de graphiste, et ce mélange me permet de travailler principalement pour le milieu de l’édition, aussi bien des maisons d’édition que des auteurs indépendants. Je fais principalement du dessin numérique, mais il m’arrive aussi de peindre des trucs à l’aquarelle ou à l’encre.

Quand as-tu pris la décision de devenir illustratrice ? Comment s’est opéré le changement ?

C’est l’occasion qui a fait le métier, honnêtement.

Mes études étaient clairement axées pub, avec assez peu de dessin. Quand j’ai été diplômée, je m’attendais logiquement à trouver un boulot dans une agence de comm… sauf que mes stages m’ont dégoûtée de ce milieu. Après quatre ans d’études et un diplôme en poche, j’ai passé de longs mois à enchaîner plusieurs petits boulots tout en réfléchissant à quoi faire de ma vie. Je suis quelqu’un qui a besoin d’aimer profondément son job et de s’y amuser pour pouvoir le faire, donc cette phase a été un peu compliquée. Rien ne me plaisait, à part écrire, dessiner, et poster le tout sur internet.

Et c’est grâce à ça que tout a commencé, en fait. Grâce à ma page Facebook de dessin, et à la communauté littéraire où je publiais mes histoires. Grâce à elles, j’ai vite été contactée par des jeunes auteurs et des éditeurs, et j’ai réalisé mes premières couvertures de romans.

Un véritable coup de chance, en somme.

Au début, je faisais ça plus pour le fun, comme un moyen d’arrondir mes fins de mois. Je ne voyais pas comment moi, avec ma formation pas-vraiment-d’illustration et mes dessins bof, je pourrais réussir dans cette voie et en vivre. Mais comme c’était fun et que j’aimais ça, j’ai continué. Et, chose incroyable, le nombre de commandes n’a fait qu’augmenter, au point que j’ai dû finir par choisir entre garder un métier nul-mais-sûr (et garder l’illustration comme un passe-temps), ou tenter de me consacrer à l’illustration à temps plein.

Comme j’ai les meilleurs parents du monde qui ont accepté que je joue les Tanguy le temps que je m’installe dans cette vie d’artiste, je n’ai pas réfléchi longtemps. J’ai choisi l’illustration.

illustration leia Tiphs

Est-ce que cela a changé ta vie ? Comment ?

Oui, complètement, du coup ! Déjà, je travaille quotidiennement mes compétences d’auto-discipline. Ensuite, je suis beaucoup plus zen. J’ai l’impression de m’être trouvée et, même si je souffre d’un sale syndrome de l’imposteur qui revient de temps à autre, je me sens plus à ma place ici que dans n’importe quelle entreprise. Je n’ai pas honte de dire ce que je fais dans la vie, comme c’était le cas quand je faisais un job alimentaire. C’est si important d’être fier de son boulot, d’avoir l’impression qu’on a réussi à devenir ce qu’on voulait être.

Dans mon école, à l’époque où j’étais étudiante, certains profs voyaient le fait de se mettre en free-lance dès le diplôme comme l’échec ultime, la preuve qu’on n’est pas assez bons pour décrocher les très-très-rares-et-très-très-inaccessibles CDI. Je ne suis pas d’accord. Être à son compte est loin d’être évident, et parvenir à en vivre est un réel accomplissement.
À quoi ressemble une de tes journées type depuis que tu es illustratrice ? Est-ce différent de ce que tu avais imaginé ?

En général, le matin, je prends le temps de me réveiller, de consulter mes mails, de faire le tour des réseaux sociaux type Deviantart ou Instagram pour voir ce qu’ont fait les artistes que je suis et prendre un genre de shoot d’inspiration.
Ensuite, j’enchaîne souvent les sessions de la même manière : d’abord, je m’occupe des retouches demandées par les clients, j’édite les factures, envoie les devis, etc.

Une fois terminé, je passe aux croquis ou aux ambiances de couleur. Je travaille toujours sur plusieurs commandes à la fois et toutes ne sont pas au même stade d’avancement. Pour réaliser une illustration, j’ai trois étapes principales que les gens doivent valider : 1- croquis 2- ambiances de couleurs 3- finalisation. Donc, je commence par les croquis ou les couleurs, selon ce que j’ai noté sur ma liste du jour.

Et enfin, je m’occupe des illustrations plus avancées. Je perds souvent la notion du temps dans ces cas-là, sans parler de l’énergie que ça pompe (le dessin, ce sport méconnu) donc je me les réserve systématiquement pour la fin, une fois tout le reste de la liste rayé.

La seule différence avec ce que j’imaginais, c’est l’énergie que ça demande. Quand je suis en bouclage, je suis tellement à fond que j’en viens parfois à me faire mal au dos, aux mains, aux bras et je finis en nage avec l’impression d’avoir couru un marathon. D’ailleurs, après, je dors comme si j’avais couru un marathon. Ça ne me faisait pas ça quand je dessinais uniquement pour le plaisir. Ou quand j’étais jeune, je sais pas. Quoi qu’il en soit, j’ai dû apprendre à poser des limites et à m’y tenir.

Illustration tiphs

Qu’aimes-tu dans le métier d’illustratrice ?

Trois choses :

– Je dessine tout le temps. Ce qui était une passion de gamine est devenu mon gagne pain, et j’en retire une fierté et un plaisir énormes. Dans ce genre de métier, la personnalité de l’artiste ressort forcément au travers de ses œuvres par l’intermédiaire de son style et des sujets qu’il traite (c’est pareil pour les auteurs, les musiciens, les comédiens…). Voir que des gens apprécient nos travaux devient encore plus gratifiant, car ils n’aiment pas uniquement la technique, mais aussi la sensibilité de la personne derrière. C’est à double tranchant, bien sûr (pschitt pschitt les rageux) mais personnellement, je n’en garde que le positif.

– La liberté. Si j’ai envie de bosser en pyjama (et je le fais, le pilou est mon uniforme de travail), de laisser Facebook allumé, de faire des pauses de trois heures le temps de boire un verre avec des potes, de bosser de 11h à 2h du matin, je peux. Du moment que le boulot est fait, la façon dont je l’organise est sans importance. Je n’ai pas à en répondre à un patron, ni à me coltiner des collègues imbuvables et les prises de tête qui vont avec. Pareil, si une commande ne m’inspire pas, ou si je ne sens pas la personne en face, je suis libre de dire non pour ne garder que ce qui me motive. Sauf deux ou trois exceptions, j’ai adoré travailler sur chacun des projets dont j’ai eu la charge, et c’est un privilège rare que j’espère conserver longtemps.

– La diversité qu’il offre. On ne m’a encore jamais demandé deux fois la même chose ; il y a constamment des challenges à relever. Et je ne suis pas cantonnée uniquement aux commandes de clients ; il m’arrive aussi de me déplacer pour donner des cours de dessin, ou de participer à des salons dédiés à l’imaginaire, où je vends mes propres créations. Sans parler des « instants de gloire » où je reçois les livres que j’ai illustrés, et des séances de dédicace qui peuvent en découler. Je ne pense pas m’habituer un jour à ces deux derniers points, d’ailleurs. Combien de métiers donnent l’impression d’être le matin de Noël plusieurs fois par mois, franchement ?

Quels aspects de ce métier aimes-tu moins voire pas du tout ?

L a C O M P T A.

Plus sérieusement, les aspects les moins fun de mon job tiennent plus au régime de l’auto-entreprise qu’à l’illustration en elle-même. Ne pas avoir de salaire fixe, ni de congés payés, ni de chômage (alors qu’on y cotise), ni d’arrêt maladie, ni de congé maternité, devoir gérer sa compta alors qu’on y a jamais rien pigé, ne pas savoir si on pourra payer ses courses le mois prochain parce qu’on arrive au bout du carnet de commandes ou qu’un client s’est évaporé dans la nature au moment de régler sa facture… Tous ces aspects-là sont extrêmement insécurisants et peuvent vite devenir un énorme problème en cas de pépin. C’est le prix à payer pour pouvoir faire ce boulot de la manière dont je le souhaite, mais je l’ai constamment en tête.

Après, il y a également cette espèce de mépris dont font preuve certains éditeurs envers les illustrateurs, et qui n’est pas toujours évidente à gérer (et je parle des éditeurs car, jusqu’à présent, je n’ai jamais vécu ça avec d’autres personnes). Se prendre une leçon de morale parce qu’on refuse d’être rémunéré 5€/h brut, alors que « mademoiselle, un métier-passion nécessite des concessions » (j’annonce que vivre sous un pont n’est pas une concession acceptable, si jamais), ou s’entendre dire que « le livre va MAL, ok ? On ne peut pas mettre 100€ de plus » alors qu’on traite avec l’une des plus grands groupes français de l’édition, non seulement ça énerve, mais ça a en plus le don de fragiliser le faible sentiment de légitimité qu’on avait réussi à se construire malgré ses doutes.

Heureusement, je n’ai pas souvent eu ce genre d’expérience, et je croise les doigts pour que ça continue.

Ton salaire te permet-il de vivre ? Si non, quelles activités exerces-tu en plus pour compléter ? Cela te laisse-t-il du temps pour dessiner ?

Oui ! Ça a pris quelques années, mais ça y est. Il m’arrive encore de faire quelques boulots de façon ponctuelle, mais c’est motivé par l’envie plus que par le besoin d’argent, et ça reste sur de courtes périodes.

Mais dans tous les cas, et je pense que c’est pareil pour beaucoup d’artistes indépendants, mes journées sont souvent bien trop chargées pour avoir le temps et l’envie de dessiner pour moi. J’essaie de me dégager quelques moments pour le faire, mais je préfère souvent me poser loin de mon bureau avec un bon livre, une série ou mon dernier projet d’écriture.

Regrettes-tu ton choix d’être devenue illustratrice ?

Pas du tout ! Parfois, je chouine un peu parce que je trouve mon métier inutile, ou parce que certains clients ont assassiné le respect, mais ça ne dure jamais longtemps. Je ne me vois pas faire autre chose, ça me correspond à 100%.

Quels sont tes objectifs à plus ou moins long terme ?

Continuer à progresser, déjà, parce que je suis encore loin du niveau auquel j’aspire. J’ai envie d’apprendre de nouvelles techniques, de tenter de nouvelles choses. Actuellement, je travaille sur un roman illustré, et j’avoue que j’aimerais beaucoup pouvoir mêler plus souvent mon goût pour l’écriture à celui pour le dessin.

Quant à ce qui est du long terme… je n’ai jamais été douée pour y réfléchir. On verra bien ! Je serai déjà super heureuse de pouvoir exercer ce métier toute ma vie, le reste viendra au fur et à mesure.

*****

Merci à Tiphaine pour ses réponses complètes et sincères. Pour être aussi à mon compte, je partage totalement tes sentiments, à la fois dans le sentiment de liberté que cela procure mais aussi dans les difficultés que cela entraîne régulièrement 😉

Vous pouvez retrouver Tiphs sur son site web, sa page Facebook et son compte Instagram. Je vous invite vraiment à aller voir son travail, c’est superbe.

A vendredi prochain pour un nouvel article !

Marièke

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5 comments

Astrid 25 juin 2018 - 13 h 48 min

Merci pour cette série très intéressante !

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Marine D. 26 juin 2018 - 16 h 02 min

Après Noire Absinthe, un deuxième clic sur le site web et la page Facebook de Tiphs 🙂 .
Merci Tiphaine de nous faire découvrir ton métier et pour ton message plein d’espoir (sur se trouver soi-même et l’intérêt d’exercer un métier qu’on aime).
Et merci Marièke pour cette super série qui nous permet de découvrir des personnes talentueuses !

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Elodie C 27 juin 2018 - 19 h 03 min

Artiste talentueuse que Tiphs ! Je suis complètement fan de son travail, ses illustrations sont magnifiques. A tel point que je lui ai demandé de réaliser une couverture pour mon roman fantastique. Hâte de voir ce que ça va donner.
Et complètement d’accord, pouvoir faire un métier qui nous passionne est la plus belle récompense !

Supers articles qui permettent de découvrir la personnalité derrière le professionnel.

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Marièke 29 juin 2018 - 7 h 47 min

Oui, j’aime énormément son travail 🙂 C’est pourquoi j’avais fait appel à elle pour la couverture de mon roman ^^’

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Nanou 14 novembre 2018 - 18 h 01 min

Je suis une grande fan de son travail 🙂

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