Show don’t tell : Montrer plutôt que raconter

by Marièke

En écriture, il faut « montrer plutôt que dire » (en anglais, « Show don’t tell « ). Tel est le conseil qui est souvent administré aux apprentis écrivains par des auteurs notables (Ernest Hemingway et Stephen King en tête). Sauf que ce conseil est peu concret et peu facile à appliquer tel quel. En écrivant un conte jeunesse, j’ai réalisé que la littérature jeunesse était un très bon exercice pour comprendre l’intérêt de ce conseil et la méthode pour l’appliquer.

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Pourquoi faut-il mieux montrer que raconter ?

En travaillant sur un texte de littérature jeunesse (pour les 8-10 ans environ), je me suis rendue compte que le concept de montrer plutôt que de raconter était assez évident à comprendre. En effet, si les enfants n’ont pas toujours un vocabulaire très étendu, ils peuvent visualiser des situations et y associer les émotions qu’ils connaissent comme la colère, la peur… Aussi, il ne s’agit pas de leur expliquer les choses par de la description, mais plutôt de les leur montrer avec des situations qu’ils comprennent et peuvent ressentir.

Dans la littérature pour les adolescents et les adultes, l’idée est la même. En ne faisant que raconter l’histoire, le risque est fort que l’on ne parvienne pas à entrer dans le personnage — qu’on ne fasse que le regarder évoluer, sans s’y attacher. C’est en montrant les émotions, sans en parler, que l’on permet au lecteur de s’identifier aux personnages et de ressentir les émotions.

Un exemple

Pour Noël, Short Édition m’a demandé de rédiger un conte de Noël. Intéressée par les questions de handicap, et notamment au sein d’une fratrie, j’ai voulu raconter l’histoire de Victor, un garçon de 9 ans et de Timéo, son petit frère de 7 ans, atteint d’autisme. Cependant, les enfants à qui ce texte était destiné ne connaissent pas forcément l’autisme et ses symptômes. Ils connaissent par contre les sentiments de jalousie, d’énervement, de colère, de souffrance… Il fallait donc mélanger ces deux aspects pour leur permettre de comprendre le trouble dont souffrait le petit frère et l’agacement que pouvait parfois ressentir le grand frère.

L’un des symptômes de l’autisme est la crise, ce moment où l’enfant (l’adulte) autiste perd tout contrôle sur lui-même et fait preuve de violence contre lui-même. Écrire que « Timéo fait une crise » n’est pas suffisant pour permettre à un enfant qui ne connait pas l’autisme de comprendre : après tout, un enfant non atteint d’autisme peut soudain se mettre à pleurer et faire sa crise. Il faut aller plus loin que le simple mot « crise ». Il faut montrer, plutôt que raconter :

« Soudain, (Timéo) éclate en sanglots.

— Chien ! Chien ? Chien ?!

Quand Timéo s’affole, il perd ses mots, se prend la tête dans les mains, se griffe. Les adultes appellent ça  »une crise ». Ils disent que c’est dû à sa maladie. Cela terrifie toujours Victor. Même si son frère l’agace parfois, il l’aime beaucoup et n’aime pas quand il est dans cet état. Il se sent encore plus coupable. Maman ne fait même pas attention à lui et prend Timéo dans ses bras pour qu’il ne se fasse pas de mal. Elle l’emmène avec elle. Victor reste tout seul dans le cellier et s’assoit par terre, mal à l’aise et triste, au milieu des papiers cadeaux déchirés. »

>> Vous pouvez retrouver le texte en entier sur le site de Short Edition Jeunesse. 🙂

Comment fait-on ?

Voici deux méthodes à creuser pour montrer plutôt que raconter.

Insérer des scènes de présentation

Au lieu de dire que votre personnage a un caractère de cochon ou que le pays que vous avez inventé est en guerre, vous pouvez insérer des scènes qui démontrent ces éléments. Dans le cas de votre personnage au caractère ronchon, vous le montrer en train de se disputer ou de râler contre quelqu’un. Pour votre pays en guerre, il s’agira de montrer un village en ruine ou une bataille… Le plus étant que ces scènes fassent avancer l’histoire en même temps qu’elles font découvrir le contexte, les personnages…

Dans le cas du Noël de Victor et Timéo, mon texte pour la jeunesse, j’ai associé des paragraphes de mon histoire avec des symptômes de l’autisme.

Symptômes de l’autisme Scènes associées
Un renfermement sur soi / l’oubli des autres Timéo joue en faisant beaucoup de bruit dans la voiture sans se préoccuper de son frère et de ses parents, même quand ils se plaignent.
L’ignorance et l’indifférence aux règles et aux normes sociales Timéo prend le ballon avec les mains en pleine partie de football et refuse de le rendre.
La violence envers les autres Timéo tape son frère car il est excité de voir Noël arriver
Les crises En découvrant qu’il n’aura pas le chien qu’il souhaitait ardemment, Timéo fait une crise. Il se tape, tape les autres, se griffe, pleure… Il est impossible à calmer.

Dans le cadre d’un roman, il est totalement possible de reproduire cet effet à l’échelle de scènes. Anna Gavalda est très forte pour cela et c’est l’une des raisons pour lesquelles j’adore ces romans et ses personnages. Elle ne décrit pas beaucoup ses personnages, elle les montre en action.

Dans le roman Ensemble, c’est tout, on voit une Camille qui désespère de faire des ménages alors qu’elle pourrait être artiste, un Philibert prêt à tout pour sa voisine alors qu’il n’a pas un sou et un Franck qui joue les durs mais qui fait des kilomètres pour voir sa grand-mère qui l’a élevé : le caractère des personnages n’est jamais réellement décrit et pourtant, le lecteur peut se les représenter facilement car ils ont des traits communs avec des personnes que l’on connait tous. Certaines des premières scènes du roman font avancer l’histoire tout en nous dépeignant le caractère profond des personnages (Philibert récupère chez lui une Camille frigorifiée, Franck visite régulièrement sa grand-mère…).

Jouer sur le point de vue

Le point de vue interne, à la première personne ou à la troisième personne du singulier, peut permettre à l’auteur de montrer des choses à son lecteur à l’insu de son personnage.

  • Il peut montrer ses émotions à travers la ponctuation (les points de suspension pour la surprise, les points d’exclamation et d’interrogation pour la surprise, la peur…)
  • Il peut donner à voir des choses à son personnage que son personnage décrit sans les comprendre… mais que le lecteur comprend car il bénéficie d’autres informations.

L’exemple de Hunger Games

Le texte ci-dessous contient des spoilers concernant la fin de la trilogie Hunger Games. Surlignez ce passage pour le dévoiler.

A la toute fin du troisième livre, lorsque la guerre est terminée, Katniss est clairement traumatisée (folle ?). Cela est retranscrit par la façon dont l’histoire est racontée. Les paragraphes et les phrases n’ont ni queue ni tête, les paroles échangées sont flouées… La folie est montrée à travers le style utilisé par l’auteur — non racontée par Katniss.

L’exemple de Game of Thrones

Le texte ci-dessous contient des spoilers concernant le Tome 1 de Game of Thrones (équivalent à la saison 2). Surlignez ce passage pour le dévoiler.

Lorsque Bran surprend Jamie et Cersei Lannister en train de faire l’amour à Winterfell, il n’est pas sûr de ce qu’il voit car c’est un enfant de 8 ans. Ce qu’il décrit cependant, est bien assez net pour que le lecteur puisse comprendre (un homme et une femme, nus, à l’écart des regards, dans une chambre, tous deux très blonds…) ce qui est en train de se tramer sous ses yeux. C’est bien plus fort que s’il disait simplement « La reine et son frère était en train de faire l’amour dans cette chambre ! ».

*****

Pour conclure sur le conseil « Show don’t tell », sachez qu’il s’agit là d’un conseil d’écriture qui, comme tous les conseils d’écriture, demande à être chamboulé. Par exemple, vous pouvez alterner des phases de description sommaire où vous racontez et des phases où vous illustrer. Cela permet de varier le rythme du récit et peut être bénéfique à votre histoire. Essayez, réécrivez, réessayez 😉

A vendredi pour la Nouvelle Année et un article de résolutions et d’organisation !

Marièke

Crédit image : Que montre ainsi cette blonde demoiselle ? (Pixabay, CC0)

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5 comments

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[…] et pas dans le « montrer » (si la nuance ne vous dit rien, je vous conseille cet article). Fouiller les personnages principaux, surtout sur la […]

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[…] Pour tout écrivain amateur, il existe une règle que les anglophones formulent ainsi: « Show, don’t tell ». En d’autres termes, il vaut mieux montrer, plutôt que de dire. En effet, un texte qui ne stimule pas assez l’intelligence ou l’imagination du lecteur est un texte ennuyeux. Marièke du blog Mécanismes d’histoires vous explique ça très bien dans son article.  […]

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Sujet d’invention: les erreurs à éviter lors de la rédaction – Le blog de la 1STMG1 4 décembre 2017 - 16 h 52 min

[…] Pour tout écrivain amateur, il existe une règle que les anglophones formulent ainsi: « Show, don’t tell ». En d’autres termes, il vaut mieux montrer, plutôt que de dire. En effet, un texte qui ne stimule pas assez l’intelligence ou l’imagination du lecteur est un texte ennuyeux. Marièke du blog Mécanismes d’histoires vous explique ça très bien dans son article.  […]

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Alexia 22 janvier 2019 - 23 h 07 min

Bonjour,
merci pour cet article intéressant. Je tiens néanmoins à signaler (rien à voir avec le sujet de l’article en soi) que l’autisme n’est pas une maladie, mais une façon différente de penser. On nait autisme et on n’en guérit pas comme on pourrait le faire avec une maladie. C’est en soi, tout comme la trisomie n’est pas une maladie. Je tenais à le signaler parce que les autistes (dont moi) ne prennent pas forcément bien qu’on considère leur différence de « maladie ».
Je vous souhaite bonne continuation pour vos articles que je suis toujours avec intérêt 🙂
Bonne journée !

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Marièke 26 janvier 2019 - 17 h 43 min

Bonjour, il ne me semble pas avoir écrit qu’il s’agissait d’une maladie dans l’article…
Merci pour la précision en tout cas !
Belle continuation 🙂

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