La rémunération des auteurs et autrices en question

by Marièke

Bonjour à toutes et à tous,

Depuis un petit bout de temps, je vois un petit paquet de choses circuler sur la rémunération des auteurs et autrices (notamment dans l’édition classique) sous l’impulsion première de la Charte portée par Samantha Bailly.

Si je ne gagne pour ma part que très peu d’argent grâce à mon activité d’autrice publiée (moins de 100€ par an reversés par les maisons d’édition où j’ai des textes), j’avais envie de parler avec vous de mes réflexions sur les demandes de la Charte.


Quelques faits

Comment fonctionne la rémunération des auteur·trice·s ? Qui est rémunéré par qui ? Combien ? Quels sont les contrats ?

La rumération des auteurs et autrices en chiffres

D’après des chiffres de 2013, 101 600 auteur·trice·s ont reçu une rémunération (par une maison d’édition classique) dont 5000 ont touché plus de 8649€ à l’année. Parmi ces auteur·trice·, 79% pratiquent ce métier à temps plein.

Si les chiffres ont forcément évolués depuis 2013, on peut tout de même déduire de ces chiffres que la majorité des auteurs et autrices, par choix ou non, cumulent plusieurs activités en rapport, ou non, avec l’écriture. Parler d’une rémunération des auteurs n’est donc pas possible : il y a autant de cas que de personnes.

Comment fonctionne la rémunération ?

Dans le cas d’une publication par une maison d’édition classique, la rémunération de l’auteur·trice se fait grâce aux droits d’auteur, imposés à 7%, et liés aux ventes de son livre, sur la base d’un pourcentage. Entre 4 et 20% en général (pour la majorité, c’est moins de 10%). Cela peut être encore inférieur dans le cas d’une anthologie – puisque chaque participant une partie de ce pourcentage. En général, les maisons d’édition reversent chaque année les droits dûs mais il peut arriver que les droits soient donnés, en partie, en amont – on appelle ça une avance sur droits d’auteurs.

Dans le cas des auteurs et autrices autopublié·e·s, le fonctionnement est différent puisque les auteurs vont directement toucher l’argent lié à la vente de leurs livres. Dans ce cas, les auteurs ont un statut d’auto-entrepreneur — pour en d’avoir plus, découvrez mon article sur les statuts. Et si vous avez besoin d’encore plus d’infos sur ce statut, n’hésitez pas à m’en parler dans les commentaires. Auto-entrepreneuse pendant 3 ans, je saurais répondre à vos interrogations.

Un certain nombre d’écrivain·e·s sont hybrides : ils cumulent les deux formes d’édition.

Le cas des interventions en salon

L’une des premières batailles de la Charte des auteurs est la rémunération en salon – certains salons et certaines maisons d’éditions ne rémunèrent pas les artistes intervenants. C’est ainsi que la Charte des auteurs s’était pas mal faite connaître l’année dernière, au Salon Livre Paris.

Il est vrai qu’il arrive que les dédicaces et autres journées de présence demandées aux auteur·trice·s ne soient pas rémunérées. Cela est fixé dans le contrat de l’écrivain·e : des journées de promotion et de dédicaces sont comptées parmi les actions de communication et promotion du livre.

Est-ce que cela me révolte ? Je vais vous le dire honnêtement : non. Pourquoi ? Parce que de tout temps, le travail gratuit a existé… Je suis blogueuse et entrepreneuse : croyez–moi, je suis régulièrement confrontée à des personnes qui espèrent un travail gratuit de ma part. 😉

L’auteur, un entrepreneur et un artiste

Oui, on arrive au sujet que je souhaitais évoquer avec vous concernant la rémunération des auteur·trice·s et leur rôle dans le milieu du livre. À la frontière entre deux univers compliqués – l’art et l’édition – l’auteur·trice vit (forcément) d’un équilibre compliqué. Il/elle est à la fois un·e artiste et un·e entrepreneur·se. Et cela joue énormément sur l’instabilité de sa rémunération.

L’auteur·trice, un·e artiste

De part son activité d’artiste, il est difficile de demander pour l’auteur·trice une rémunération fixe, récurrente et générale. Toutes et tous ne rencontrent pas le même succès. Et puis, il y a en France une personne sur 6 qui souhaite écrire un livre : toutes ne peuvent pas être embauchées par une maison d’édition…

Le salaire universel a notamment pour vocation de permettre de ne pas uniquement se concentrer sur l’aspect rémunérateur du travail – il permettrait donc aux artistes de vivre décemment sans se préoccuper du succès de leur art. C’est une solution qui peut être envisagée pour booster la rémunération des auteurs et autrices mais la France n’est pas encore prête à l’accepter. En attendant, pour vivre de sa plume, il faut trouver d’autres alternatives…

L’auteur·trice, un·e freelance

Dans les missions de l’auteur·trice, il faut écrire des livres. Mais pas seulement :

  • Assurer sa promotion
  • Négocier et signer des contrats
  • Gérer ses relations avec ses partenaires

L’écrivain·e est responsable des contrats qu’il/elle signe. S’il est très compliqué, il est vrai, de réclamer des pourcentages supplémentaires sur les ventes (notamment pour un premier roman), il est possible de négocier une rémunération pour sa présence en salon par exemple. Bien entendu, il y a des milliers de candidats à la publication et il peut être effrayant de négocier mais c’est aussi ce qui va vous permettre de vivre et de vous sentir respecté…

Je crois qu’il en va aux auteur·trice·s de demander ces ajouts à leur contrat et que la loi ne pourra rien faire contre cette pratique. Il existe déjà des outils de protection mais la loi n’a jamais supprimé le travail gratuit et les « collaborations ». C’est aux auteurs de mettre des limites (et aux maisons d’édition de préparer un bubget).

Dans cette idée, je pense qu’il est nécessaire de former les auteurs et autrices aux différents aspects de leur métier. Comme je le dis un peu plus haut, en tant qu’auteur·trice, il ne s’agit plus seulement d’écrire. Le métier a changé et il faut savoir faire des devis / des factures, oser parler d’argent (« As-tu prévu une rémunération pour ce weekend ? »), comprendre le fonctionnement du statut de micro-entrepreneur·se pour pouvoir développer des activités en parallèle.

Quelques idées en passant

Au delà du fait que l’auteur·trice doit apprendre à négocier et à se considérer comme un·e freelance, le monde de l’édition aujourd’hui et de la rémunération des auteurs et autrices appelle à des changements. Voici quelques pistes de réflexion auxquelles j’ai pensées : n’hésitez pas à aller plus loin en commentaires !

Refondre l’Agessa

Avec la montée en importance de l’auto-édition, il semble désormais essentiel que cette forme d’édition soit prise en compte par l’Agessa – organisme qui gère la protection sociale et la rémunération des auteurs et autrices.

De même, le fonctionnement et l’organisation de cet organisme sensé protéger les auteurs et autrices est particulièrement flou…

Repenser la chaine du livre

Les camemberts de répartition de l’argent dans l’édition sont clairs : dans la chaine du livre, les intermédiaires sont certainement la part la plus floue et la mieux rémunérée de la chaine du livre. A côté de leurs 20% de rémunération sur chaque livre vendu, les auteurs et autrices touchent 8% en moyenne et cela peut être remis en question…

Si le rôle des diffuseurs/distributeurs est essentiel dans le modèle actuel (ils servent d’intermédiaire entre maisons d’édition et libraires, ils sont des commerciaux), il n’empêche que l’on peut s’interroger sur leur rôle. Leur intervention mérite-t-elle 20% du prix ?

Dans ce modèle, ils sont les seuls acteurs à ne rien risquer : les auteurs écrivent des livres non publiés, les maisons d’édition ont un risque de ne pas vendre et les libraires ont des frais de fonctionnement lourds et une grosse concurrence d’Amazon… Les distributeurs sont, il me semble, plus épargnés par ces risques.


J’espère que cet article vous aura un peu éclairé sur le fonctionnement de la rémunération chez les auteurs et les autrices. N’hésitez pas à me faire vos retours en commentaires, je suis curieuse de vous lire sur ce sujet !

A demain pour une newsletter en forme de bilan de l’été,

Marièke

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14 comments

LisaM 30 août 2019 - 8 h 30 min

Juste pour info : Samantha Bailly n’est plus présidente de la Charte (même si elle en fait toujours partie), elle a passé la main cette année à Guillaume Nail. Attention aux infos, une petite vérification est de mise…

Reply
Marièke 6 octobre 2019 - 15 h 54 min

Bonjour, sauf erreur de ma part, il ne me semble pas avoir dit que Samantha Bailly était présidente de la Charte 😉 J’ai seulement qu’elle en était une signataire importante. Effectivement, le président est Guillaume Nail – mais ce dernier m’est moins familier que Samantha que je suis sur ses réseaux sociaux.

Reply
Cécile 30 août 2019 - 8 h 33 min

Bonjour Marièke,
C’est très ambitieux et très honorable d’aborder ce sujet complexe et épineux sur ton blog.

Si tu le permets, j’aimerais apporter quelques précisions (je suis une auteure publiée dans des maisons d’édition classiques, mais pas une auteure professionnelle, c’est-à-dire que je suis écrivain en plus d’une activité salariée « normale »).

Tes pistes de réflexion sont intéressantes, mais peut-être à nuancer car elles se heurtent (pour le moment, du moins) à la réalité du terrain.

// Concernant la rémunération en droits d’auteur //

Étant auteure en littérature générale, mais également en littérature jeunesse, je peux témoigner du fait que sur le secteur jeunesse, les auteurs touchent des pourcentages inférieurs à la littérature générale : pour mon premier roman, les droits s’élevaient à 8% à se répartir entre l’illustratrice et moi (donc 4% chacune). Dans ce secteur, on atteint rarement plus de 8%, et les négociations sont serrées.

Souvent, ce qui permet aux auteurs professionnels de vivre (c’est-à-dire ceux qui n’ont pas d’autre activité que celle d’être auteur), ce sont les interventions scolaires, ateliers d’écriture, et autres activités annexes.

Attention, tu parles d’être embauché par une maison d’édition. J’imagine que c’est une maladresse, car un auteur ne se fait pas embaucher par une maison d’édition (elle ne lui verse pas un salaire, ne lui fournit pas de couverture sociale, ni de droits au chômage, etc.). Quand je discute avec des collègues auteurs professionnels de la façon dont est gérée leur couverture sociale, ça fait vraiment peur (tu l’évoques d’ailleurs en parlant de modifier le fonctionnement de l’Agessa). Pas de contrat de travail, donc, mais un contrat par lequel l’auteur cède les droits de reproduction.

// Concernant la rémunération sur les salons //

Il est vrai qu’il s’agit du volet « promotion » du métier d’écrivain. On se dit assez naturellement qu’il peut accepter de ne pas être payé, car cela constitue une vitrine pour lui. Mais cela reste du travail, et beaucoup de temps. Je connais des auteurs qui passent énormément de temps dans les transports pour assurer une simple présence à un salon. Moi-même, alors qu’un de mes romans vient de sortir en librairie, je suis sollicitée par un salon à l’autre bout de la France, et hésite encore à y aller, car cela impliquerait de passer 2 jours en transport. Ce qui pose également problème aux auteurs, c’est que pour eux participer à un festival ou à un salon du livre, c’est ne pas consacrer du temps à l’écriture. Or s’ils ne produisent pas, faute de temps, ils sont pénalisés.

Tu proposes aux auteurs de négocier cet aspect dans leur contrat d’édition. Le hic, c’est que lorsque nous participons à un salon, ce n’est pas forcément à l’initiative de la maison d’édition, mais bien souvent sur invitation directe du salon. Et parfois sous l’étendard de plusieurs maisons d’édition (surtout en jeunesse). En fait, cette partie ne dépend pas uniquement de la maison d’édition. D’ailleurs, le contrat que nous passons avec la maison d’édition concerne « simplement » la cession de nos droits. Du coup, elle serait plutôt à faire cadrer (et donc payer) par les organisateurs des festivals (mais leurs moyens financiers sont minces et certains ont vu leurs subventions diminuer).

// Concernant la chaîne du livre //

Je crois que tu as raison et que c’est là que le bât blesse. L’auteur, qui produit ce qui va permettre aux autres de gagner de l’argent, est le plus mal payé dans ce système. C’est injuste. Mais lequel des acteurs de cette fameuse chaîne du livre sera prêt à baisser sa rémunération pour faire changer les choses ? C’est loin d’être gagné.

Et il ne faut pas diaboliser chacun de ces acteurs. Certes certaines maisons d’édition gagnent très bien leur vie. Mais d’autres, plus petites, ne font que survivre. Quant aux libraires, dont on pourrait penser qu’ils touchent un gros pourcentage sur le prix d’un livre, on sait tous qu’ils ont bien du mal à joindre les deux bouts… Pourquoi pas aller « gratter » du côté des diffuseurs effectivement ?

Attention, juste une précision, d’ailleurs : tu parles d’invendus pour les libraires. Pour l’édition classique, il n’y a aucun risque pour le libraire de se retrouver avec des invendus. Le libraire commande un certain nombre d’exemplaires (parfois le diffuseur force un peu le système en lui envoyant des livres non-commandé, c’est ce qu’on appelle l’office sauvage). Mais s’il ne vend pas, il peut renvoyer ses invendus et ne sera pas facturé.

Bon, je suis désolée pour ce commentaire interminable… Le sujet est complexe. Et effectivement, les choses sont à repenser si l’on veut que les auteurs puissent continuer à créer (j’ai vu de nombreux auteurs, dont de très grands noms, renoncer à l’écriture au cours de cette année, car ils ne réussissaient plus à en vivre). Pour ma part, je crois que sans une refonte totale du système, qui date d’un autre temps, et un véritable statut qui prenne en compte les particularités d’un métier créatif, cela restera compliqué.

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Marièke 6 octobre 2019 - 16 h 09 min

Bonjour Cécile et merci pour ton long commentaire, c’est clair que le sujet est complexe !

=> Concernant l’embauche par une maison d’édition, je pense que tu te réfères au paragraphe « De part son activité d’artiste, il est difficile de demander pour l’auteur·trice une rémunération fixe, récurrente et générale. Toutes et tous ne rencontrent pas le même succès. Et puis, il y a en France une personne sur 6 qui souhaite écrire un livre : toutes ne peuvent pas être embauchées par une maison d’édition… » Tu noteras bien qu’il s’agit ici d’ironie et de démonstration pour dire que ce n’est pas possible 🙂
=> Dans le cas où la demande provient du salon directement, pourquoi ne pas refuser d’intervenir sous ces conditions et négocier un tarif ? Cela revient au même qu’avec les maisons d’édition. Le choix reste celui de l’auteur qui accepte de se rendre un événement sans être rémunéré.
=> J’avoue que je croyais que les libraires payaient l’ensemble de leur commande : tu m’apprends quelque chose en m’indiquant que non, les livres non vendus ne leur sont pas facturés 🙂 Le risque supporté par les libraires est donc carrément moindre ! 🙂 Je m’en vais de ce pas corriger mon article sur ce point ! Merci 🙂

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Supplicy 30 août 2019 - 8 h 58 min

Quand on achète un œuf ou une pomme dans un super marché, combien touche le propriétaire de la poule ou de l’arbre ?

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Marièke 6 octobre 2019 - 15 h 56 min

Euh, j’imagine que vous cherchez à me dire ici que les auteurs et les autrices ne sont pas les seuls à voir leur travail bradé 😉 Mais il me semble intéressant de regarder plutôt vers le mieux que vers le pire ^^’

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petitpretre 30 août 2019 - 9 h 04 min

MERCI C EST TRÈS INSTRUCTIF…

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Marièke 6 octobre 2019 - 15 h 56 min

Merci 🙂

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Jinhy 1 septembre 2019 - 7 h 45 min

Ton article est très instructif. Cependant en ce qui me concerne, il me fait peur et ne donne pas envie de se faire publier. J’écris pour le plaisir de raconter mes histoires, pour y faire découvrir mes idées, ma façon de penser. Vu les difficultés évoqué dans l’article, je me dis qu’il vaut mieux garder mes écrits pour moi. En tout cas merci beaucoup d’avoir pris le temps de parler de tous cela.

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Marièke 6 octobre 2019 - 14 h 58 min

Bonjour, merci pour ton retour 🙂 Un peu désolée que mon article te coupe l’envie de te faire publier mais je trouve important de dire la vérité 🙂 Bien entendu c’est à chacun·e de faire ce qui lui semble le mieux avec ses textes !

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JulietteLem 5 septembre 2019 - 8 h 03 min

Bonjour,
Merci pour cet article, qui a le mérite de faire le point sur une situation dont il est parfois difficile de saisir tous les ressorts.

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Marièke 6 octobre 2019 - 14 h 59 min

C’était le but 😉 Merci pour ton retour !

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vanessa 17 octobre 2019 - 17 h 08 min

Bonjour Marièke,

Je viens de découvrir votre site très joliment fait et trouve vos articles très intéressants. Merci pour le partage de vos expériences. Je m’abonne à votre newsletter.

Reply
Marièke 1 décembre 2019 - 16 h 46 min

Bonjour Vanessa, merci pour tes encouragements et à très vite 🙂

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