Bonjour à tous !
En tant qu’auteur, vous le savez aussi bien que moi : les mots ont un sens. Utiliser un mot plutôt qu’un autre n’est pas un acte anodin. C’est pourquoi j’avais envie de revenir dans cette mini-série Une question de vocabulaire sur les pourquoi de l’utilisation d’un mot plutôt que d’un autre. Il y sera question de sens et de vocabulaire.
Au coeur du débat et de la réflexion du jour, le terme Autrice que j’utilise régulièrement sur le blog. Quelle est la différence entre auteur, auteure et autrice ? Pourquoi utiliser l’un plutôt que les autres pour parler des auteurs au féminin ?
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Prérequis : Auteur
De manière générale, un auteur (du latin « auctor ») est une personne qui est la cause, le responsable. En matière de création littéraire, l’auteur peut être écrivain, romancier, poète…
Auteur au féminin
Un débat existe depuis de nombreuses années sur le bon terme qu’il faut utiliser pour qualifier l’auteur au féminin. Il est particulièrement étonnant de réaliser que la francophonie n’est pas d’accord sur le terme à utiliser ce qui montre à quel point ce mot est politisé.
Auteur
(Soutenu par l’Académie Française en France et en Belgique)
La forme auteur est le terme préconisé actuellement par l’Académie française. En effet, face à l’utilisation du terme auteure, l’Académie française souligne que « les seuls féminins français en -eure (prieure, supérieure…) sont ceux qui proviennent de comparatifs latins en -or », et cite « auteure » parmi les néologismes à « éviter absolument ».
En Belgique, auteure et auteur sont deux formes pareillement admise même si l’usage tend à donner l’avantage à la forme auteure.
Auteure
(Utilisé en Belgique et au Québec, et de fait en France)
Face à la volonté de féminiser les noms et les titres, la forme auteure remporte les suffrages. Considérée comme moins « choquante » pour les oreilles que autrice mais issue d’une formation irrégulière, elle s’installe au Canada francophone (le Guide de féminisation des titres et des fonctions en 1986 préconise l’utilisation de auteure) et en Belgique (un décret de 1993 impose la féminisation des noms dans les actes administratifs et offres et demandes d’emplois).
En France, le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes recommande les féminins en « -eure » en 2015.
Autrice
(Utilisé en Suisse et en Afrique Francophone)
La forme autrice, dérivée du latin auctrix, est utilisé et jugé correct jusqu’au XVII siècle, puis progressivement abandonnée et tombée en désuétude en France à la suite d’une longue querelle entre praticiens et grammairiens. D’après Aurore Evain, chercheuse en sémiologie (science de l’utilisation des mots et de leur sens), qui a travaillé sur le sujet de la parité linguistique, la réfutation de l’usage de ce mot, s’appuie à l’époque non seulement sur des débats sur sa formation grammaticale, mais aussi sur la remise en cause de la légitimité même des femmes à écrire. En 2002, l’Académie française range le mot parmi les « néologismes » et les « aberrations lexicales ».
Le mot est par contre utilisé en Suisse et en Afrique francophone. Il s’agit de la forme grammaticalement correcte (au vu de la forme latine du mot auteur / auctor).
Auteur, auteure ou autrice ?
Les pays francophones qui utilisaient la forme auteur comme féminin de auteur se sont peu à peu rendus compte de la nécessité à féminiser les titres et les emplois à la fin du XXe siècle. Des recommandations se sont mises en place pour tendre vers l’usage de auteure qui semble être la variante la plus utilisée bien qu’elle ne soit pas grammaticalement correcte (à la différence de autrice). Aujourd’hui, auteure est utilisée en Belgique, au Québec et en France (où la forme auteur continue à être soutenue par l’Académie Française) tandis que autrice est utilisée en Suisse et dans les pays d’Afrique francophone qui ont conservé l’usage du XVIIIe siècle.
Pourquoi j’ai décidé d’utiliser la forme autrice
Même si ce mot peut sembler dépassé, démodé ou ridicule pour certains d’entre vous, je suis féministe. Yep, c’est dit, avoué, affirmé. Je suis féministe. Et je fais partie de celles et ceux qui pensent que l’égalité homme / femme ne se réglera pas à coups d’égalité salariale. L’égalité salariale est une conséquence des inégalités de notre société : si toutes les inégalités de la société sont combattues, l’inégalité salariale se réduira.
Bref, je fais partie de ceux qui pense que la féminisation du vocabulaire aura – à terme – un impact sur les mentalités. J’ai donc choisi d’utiliser autrice sur ce blog. Le seul fait que l’on ait choisi de ne plus utiliser ce terme pour refuser aux femmes leur capacité à écrire me pousse à l’utiliser. Le bonus est qu’il s’agit de la forme correcte grammaticalement : c’est un bon argument à ceux qui critiquent cette forme. Et si certains d’entre vous pensent que c’est moche, c’est surtout parce que vos oreilles n’y sont pas habituées : vos oreilles ne trouvent pas moches les formes féminines actrice, institutrice ou animatrice.
Vers la parité linguistique
Parmi mes autres choix de langage, j’ai choisi d’arrêter de dire Mademoiselle (je coche toujours Madame dans les formulaires) et je féminise les titres (Madame La Ministre…). J’ai aussi entendu parler d’une féminisation de la grammaire mais je n’en ai pas encore étudié la forme. Je sais que cette lutte paraîtra minime pour certains d’entre vous mais Mécanismes d’histoires est mon blog et je suis satisfaite de participer à ma façon au changement des habitudes sur ce sujet.
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Si vous pensez encore qu’autrice est un mot qui vous semble hideux (alors que vous utilisez sans problème actrice et institutrice), je ne peux que vous inviter à lire le très bon article de Audrey Alwett sur le même sujet qui m’a convaincu d’utiliser le terme autrice.
Bonne journée à tous et à toutes,
Marièke
Crédit image : L’académie française par Panoramas (Flickr, CC BY-SA)